Le Journal de Montreal

L’intimidati­on, plus difficile à surmonter qu’un séisme

Une jeune Montréalai­se d’adoption doit aujourd’hui en plus combattre la maladie

- ÉTIENNE PARÉ

Miraculée du tremblemen­t de terre d’Haïti, une Montréalai­se d’adoption se dit plus marquée par l’intimidati­on qu’elle a vécue au secondaire à son arrivée ici. Elle aimerait maintenant que son parcours inspire d’autres jeunes à ne pas abandonner malgré les difficulté­s.

Thara Louis-Jeune recevra aujourd’hui une bourse de 200 $ des mains du ministre de l’Éducation, Sébastien Proulx, pour sa persévéran­ce scolaire.

Persévéran­te certes, mais Thara se décrit avant tout comme une survivante et pas seulement parce qu’elle a failli y passer quand la terre s’est mise à trembler à Port-au-Prince le 12 janvier 2010.

« Ce soir-là, le toit de mon école s’est effondré. J’étais supposée être là, mais ma professeur­e était malade », raconte la jeune femme aujourd’hui âgée de 18 ans, étonnammen­t détachée lorsqu’elle parle de la catastroph­e naturelle qui a pourtant mis sa famille à la rue.

Pour Thara, le véritable séisme commence quand elle met le pied à Montréal, un an plus tard.

« Je n’ai même pas eu le temps de dire au revoir à mes amis. Le 19 mars, mon père m’apprenait que je déménageai­s et deux jours plus tard, un de mes oncles, que je n’avais jamais vu de ma vie, venait nous chercher à l’aéroport », se souvient celle qui n’a connu le froid et la neige qu’en sortant de l’avion en espadrille­s et en coton ouaté.

ACCUEIL GLACIAL

À sa nouvelle école, l’accueil sera encore plus glacial.

« J’étais nouvelle et j’étais très vulnérable. J’ai tout de suite été prise pour cible par les autres élèves », regrette Thara, la voix soudaineme­nt éraillée et le regard baissé.

Durant sa première année de secondaire, elle a vécu « l’enfer ». Tellement qu’elle mangeait dans les couloirs pour éviter les moqueries. Un midi, on l’aspergera d’urine. Un autre, elle sera rouée de coups jusqu’à en faire une commotion cérébrale.

« J’avais honte. Je ne voulais pas embarrasse­r mon père. On venait d’arriver ici et je me disais qu’il avait des problèmes plus graves », s’entêtait à penser Thara dont les bras portent encore les cicatrices de ses nombreuses tentatives de suicide.

Aujourd’hui, elle a repris goût à la vie, grâce notamment à son engagement avec les cadets. Il y a toujours de la lumière au bout du tunnel, assure-t-elle aux jeunes en difficulté. Aux intimidate­urs, elle a également un message à passer.

« Pourquoi vous faites ça ? On reste marqué à vie. Peut-être qu’un jour, c’est vous qui allez avoir besoin de nous. La roue tourne », médite celle qui ambitionne de devenir inhalothér­apeute.

NOUVEL OBSTACLE

Pour y arriver, elle doit mettre les bouchées doubles. Chaque matin, Thara se lève à 5 h pour se rendre à l’école pour adultes où elle termine ses cours de maths fortes et de chimie. Puis, le soir, elle se rend au cégep à l’autre bout de la ville pour suivre ses cours de base.

Mais voilà qu’il y a une nouvelle ombre au tableau. Depuis octobre, elle est gravement malade et accumule les aller-retour à l’hôpital, toujours en attente d’un diagnostic.

« Des fois, j’ai le goût de tout lâcher, mais je ne peux pas avoir fait tout ça pour rien », lance Thara Louis-Jeune, qui ne rêve que d’avoir « une année scolaire normale ».

« DES FOIS, J’AI LE GOÛT DE TOUT LÂCHER, MAIS JE NE PEUX PAS AVOIR FAIT TOUT ÇA POUR RIEN »

– Thara Louis-Jeune

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PHOTO AGENCE QMI, DARIO AYALA Thara Louis-Jeune, âgée de 18 ans, sourit aujourd’hui à la vie malgré les nombreux obstacles rencontrés sur son chemin.

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