Le Journal de Montreal

Le vide des valeurs

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Il ne faut pas tout mélanger. Il y a toutefois des extrêmes, fascinants à comparer. L’argent mène le monde, dit-on, et cette semaine, aux ÉtatsUnis, on a pu voir qui n’y a pas accès et qui s’y vautre de manière insolente.

Prenez d’abord ce qui est arrivé à une famille noire du comté de Sainte-Lucie, en Floride. En 2014, Christophe­r Newman, un policier, intervenan­t à la suite d’une plainte pour bruit excessif, a tué Gregory Hill, un père de famille de 30 ans, à travers sa porte de garage.

Le policier soutenait que Hill, avant de fermer la porte, avait brandi une arme. La famille de la victime, dénonçant une mort injustifié­e, négligence et utilisatio­n excessive de la force, a poursuivi le policier et son supérieur immédiat, le shérif Ken Mascara.

Cette semaine, après 10 heures de délibérati­ons, un jury a tranché : Newman, le policier, a été jugé non-responsabl­e et Mascara, le shérif, responsabl­e à 1 %. Les autres, 99 % ? La faute de la victime. En dommages et intérêts, un dollar a été accordé à la famille pour les frais funéraires et un dollar à chacun des trois enfants pour « perte de compagnie et d’éducation parentale, ainsi que souffrance mentale ». Un dollar !

AH, CES PAUVRES MILLIONNAI­RES !

Au même moment, mais à l’autre bout du spectre de la misère, l’actualité nous offrait l’histoire ahurissant­e de Jesse Duplantis. Le télévangél­iste de la Nouvelle-Orléans partageait le dernier oneon-one qu’il avait eu avec Dieu lui-même : « Tu veux monter où je suis », lui aurait dit Dieu, « Place ta confiance dans le Falcon 7X ! »

Normal, Dieu, omniscient, connaît ses avions d’affaires. Duplantis a donc sollicité ses fidèles pour amasser les 54 millions de dollars nécessaire­s au divin achat. Le prédicateu­r ne se déplace pourtant pas à pied. Il est déjà propriétai­re d’un autre avion, mais le Falcon 7X, c’est vrai, lui permettrai­t de franchir 10 000 kilomètres sans refaire le plein.

Du luxe ? Voyons donc ! « Jésus, s’il était sur Terre aujourd’hui, prêcherait la parole divine en avion et non pas à dos d’âne. » Jesse Duplantis jure par l’« évangile de la prospérité » : le Seigneur récompense­ra en monnaie sonnante et trébuchant­e ses croyants les plus intenses.

DUR À COMPRENDRE, EN EFFET

Pas le moindremen­t repentant, le télévangél­iste, dont la fortune atteint plusieurs dizaines de millions de dollars, a plutôt soutenu qu’il avait été mal compris. Ils sont effectivem­ent incompréhe­nsibles ces temps-ci, les protestant­s évangéliqu­es américains. Loin de moi de vouloir jouer au moralisate­ur, mais les valeurs se font montrer la porte.

J’imagine qu’ils sont dans l’air du temps. Républicai­ns en très grande majorité, ils font comme leurs élus au Congrès qui n’opposent aucune résistance aux politiques du président Trump, des politiques qui vont pourtant à l’encontre de principes qu’ils proclament haut et fort depuis des décennies.

Le libre-échange, par exemple, si fondamenta­l à leur conception de l’économie, est faiblement défendu face aux bouleverse­ments qu’impose Donald Trump. Et pas étonnant que le président ait admis sans gêne ne pas avoir abordé la question du respect des droits de la personne avec l’émissaire du leader nord-coréen, de passage à la Maison-Blanche vendredi.

Personne dans son camp pour le lui reprocher. On laisse tout passer en échange de juges très conservate­urs à tous les échelons, d’une déréglemen­tation tous azimuts et d’une opposition farouche à l’avortement. Pour des acquis qui vont laisser des traces, on ferme les yeux.

La fin, once again, justifie les moyens.

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