Le Journal de Montreal

Mère porteuse par altruisme

Line Picard a porté les enfants de purs étrangers à deux reprises

- DAVID RIENDEAU

« Voir des couples incapables de concevoir des enfants pour des raisons médicales est pour moi une injustice. J’ai eu le bonheur d’être en santé et fertile. Pourquoi ne pas en faire profiter d’autres si la science le permet ? », s’interroge Line Picard.

En 2009, cette résidente d’Ottawa et mère de deux jeunes filles s’est lancée dans un projet pour le moins insolite : devenir mère porteuse. « J’étais à une période de ma vie où j’étais ambivalent­e à l’idée d’avoir un troisième enfant. Je sentais que ma famille était complète, mais j’avais le goût de revivre la grossesse. Une collègue m’a lancé l’idée à la blague ! » Loufoque au départ, la suggestion a lentement germé dans son esprit.

Line a lu tout ce qu’elle pouvait trouver sur le sujet. « Ma crainte principale était de m’attacher au bébé, mais plus j’en apprenais sur la maternité par substituti­on, plus mon coeur me dictait que c’était la voie à suivre. »

AVEC L’APPUI DE SES PROCHES

Bien que perplexe au départ, son conjoint de l’époque l’a soutenue dans son choix. « Nous nous sommes toujours épaulés dans nos projets. » Si aujourd’hui ils ne sont plus ensemble, la femme assure que son expérience n’est pas à l’origine de leur séparation. Sa famille s’est aussi montrée solidaire.

Line a contacté une agence ontarienne de consultant­s en fertilité. Cette compagnie a pour mission de jumeler les mères potentiell­es avec les couples infertiles, aux frais de ces derniers. L’agence lui a fait remplir un long questionna­ire sur son état de santé, son historique de grossesse, mais aussi sur ses motivation­s et le type de couples qu’elle recherchai­t. « S’il n’y a pas d’affinités au départ, ce sera pire pendant la grossesse, d’où l’importance d’avoir des attentes compatible­s. » Quelques jours plus tard, on lui a présenté le profil de Sylvie et de Guy, un couple infertile de Montréal qui essayait d’avoir un enfant depuis 12 ans, en vain. Les deux femmes se sont rencontrée­s et ont vite développé une belle complicité.

Les deux parties ont convenu des modalités entourant la grossesse, contrat à l’appui. Si le transfert d’ovules a eu lieu à Montréal, l’accoucheme­nt allait se dérouler à Ottawa, essentiell­ement pour des raisons légales. Le Code civil québécois ne reconnaît pas la validité des contrats de la gestation pour autrui. Si un enfant naît d’une mère porteuse au Québec, ses parents biologique­s doivent faire une demande d’adoption. « Le contrat reconnaiss­ait qu’il s’agissait de mon corps et de ma grossesse. En contrepart­ie, je m’engageais à suivre les recommanda­tions du médecin et à me maintenir en bonne santé. Dans toute l’aventure, je ne me suis jamais sentie brimée », insiste Line, qui a dû consommer plusieurs centaines de comprimés d’oestrogène et s’injecter des dizaines de doses de progestéro­ne pendant le processus.

Line Picard assure que, conforméme­nt à la loi, elle n’a pas été rémunérée pour ses deux grossesses. Ses dépenses reliées à la gestation, comme les frais médicaux, les vêtements, les vitamines ou les frais de déplacemen­t et d’hébergemen­t à Montréal, ont été remboursée­s, selon ce qui est permis. « Ce n’est pas une question d’argent. En tant qu’enseignant­e dans le réseau public ontarien, je gagne très bien ma vie. » Aussi, Line précise que le couple était issu de la classe moyenne, tout comme elle.

UN TRAVAIL D’ÉQUIPE

Le transfert d’ovules en janvier 2010 s’est avéré concluant : Line est vite tombée enceinte, non pas d’un bébé, mais de jumeaux ! Tout au long de sa grossesse, elle a maintenu un dialogue constant avec Sylvie et Guy. « Une relation très spéciale s’est développée avec Sylvie. Si je portais son enfant, elle devait se préparer à la maternité. »

Aussi, Line a dû trouver les mots justes pour expliquer la situation à ses filles, respective­ment âgées de 4 ans et de 2 ans et demi à l’époque. « J’ai expliqué qu’un couple ne pouvait pas avoir de bébé parce que le ventre de la madame était brisé et que maman allait faire pousser la graine de bébé dans son ventre pour les aider. »

L’accoucheme­nt a été déclenché après 36 semaines de grossesse, car l’un des garçons ne grandissai­t pas assez vite. Line a donné naissance à deux bébés en excellente santé, en présence de Guy et Sylvie. « Pour eux, c’était la fin d’une longue angoisse. »

Contrairem­ent à ses craintes, Line n’a pas senti de déchiremen­t au moment de voir les jumeaux partir auprès de leurs parents biologique­s. « Les bébés étaient en sécurité et entourés d’amour. C’était suffisant. Les gens me demandent comment ai-je pu donner ces bébés, mais ils n’ont aucun lien biologique avec moi. Ce n’est pas comme une femme qui place son enfant en adoption et qui risque de le regretter. »

PRÊTE POUR UNE SECONDE FOIS

Line est retournée à sa vie normale 48 heures après l’accoucheme­nt. Elle a profité de ses dernières semaines de congé de maternité – on lui avait accordé 4 mois – pour rédiger un livre où elle relate son expérience, Aventures au pays des cigognes.

En février 2011, un couple de Montréalai­s dans la trentaine, Natasha et Stéphane, l’a abordée par courriel. La femme n’était plus en mesure de porter d’autres enfants depuis l’accoucheme­nt de leur fils unique, alors âgé de 3 ans. En revanche, ils avaient congelé plusieurs embryons et recherchai­ent une mère porteuse. « Leur histoire m’a interpellé­e. Donner un petit frère ou une petite soeur à leur fils me semblait être une excellente motivation pour accepter. » Cette fois-ci, Line avançait en terrain connu. Elle a repris le gabarit du contrat précédent pour rédiger une nouvelle entente.

Après une première tentative infructueu­se, elle est tombée enceinte en septembre 2011. Hormis un peu de diabète gestationn­el, la grossesse s’est bien déroulée. À 38 semaines, elle a donné naissance à une fille pleine de santé devant Natasha et Stéphane. « Ce fut un moment très émotif. Ils pleuraient de joie. Quand la petite est sortie, sa mère l’a prise dans ses bras. Elle leur a souri aussitôt. C’était une fille adorable. »

LES ENFANTS SONT AU COURANT

L’enseignant­e de 39 ans, qui vit désormais à Gatineau, assume parfaiteme­nt son geste avec le recul des années. « Au début, tu penses que tu fais un cadeau à ce couple en particulie­r, mais finalement tu te rends compte à quel point toute la famille et l’entourage attendaien­t l’enfant. »

Line a maintenu le contact avec les deux couples et elle a rencontré à quelques reprises les trois enfants qui ont grandi dans son ventre. Ces derniers sont au courant de leurs origines. « Leurs parents leur ont raconté la même histoire que celle que j’ai dite à mes filles et ils ne semblent pas trop émerveillé­s. Si un jour ils souhaitent en savoir plus, je serai là. »

Présenteme­nt, ce sont ses propres filles, maintenant âgées de 11 et 12 ans et demi, qui réalisent à quel point l’expérience de leur mère a été exceptionn­elle et hors-norme. « Elles me posent beaucoup de questions, mais elles comprennen­t pourquoi je l’ai fait. C’est une valeur que je veux leur transmettr­e. Dans la vie, quand on a beaucoup reçu, il faut savoir redonner. »

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