Le Journal de Montreal

Même les dieux souffrent

- RICHARD MARTINEAU richard.martineau @quebecorme­dia.com Associatio­n québécoise de prévention du suicide : 1 866 APPELLE (277-3553)

Je ne le crois pas. Je pense que je ne le croirai jamais.

Anthony Bourdain s’est suicidé ? Voyons ! Le gars était beau, grand, drôle, brillant, charismati­que, talentueux, idolâtré, et il avait la meilleure job du monde, voyager aux quatre coins du globe pour boire et manger !

Comment un homme qui mordait autant dans la vie peut-il décider d’en finir ?

Une autre fausse nouvelle, sûrement.

Comme la mort de Morgan Freeman, qu’on annonce toutes les deux semaines depuis des années.

PERSONNE N’EST À L’ABRI

Eh non. L’animateur de CNN et l’auteur de Kitchen Confi

dential (le livre le plus drôle jamais écrit sur la cuisine) s’est bel et bien tué.

Dans une chambre d’hôtel à des milliers de kilomètres de sa fille de 11 ans.

Comme mon ami Michel Barrette m’a écrit hier : « Rappelle-toi, Richard, c’est exactement ce que tu t’es dit quand je t’ai raconté ma tentative de suicide aux Francs-Tireurs.»

« Tu t’es dit : Comment un gars comme Barrette, qui fait rire tout le monde, qui est toujours sur le party et qui aime tant avoir du fun, a-t-il voulu en finir ? »

« C’est la preuve que ça peut arriver à tout le monde et que personne n’est à l’abri d’une dépression majeure. »

Des habitants du TiersMonde qui pataugent dans la merde et fouillent dans les poubelles pour se nourrir s’accrochent à la vie.

Et des millionnai­res qui surfent le vent dans le dos et ont tous les talents tirent la plogue.

Allez y comprendre quelque chose.

C’est une maladie, j’imagine. Comme le diabète. Ça frappe n’importe qui, quelle que soit ta classe sociale.

Ça jette une grosse couverture sur ton âme, et tu ne vois plus rien, tu ne sens plus rien.

Les gens qui t’aiment ont beau te répéter qu’après la pluie vient le beau temps, tu ne les entends pas.

Tu es au milieu d’un long tunnel et tu n’aperçois aucune lumière.

ICI, MAINTENANT

Parler de Bourdain au passé ? Jamais.

Bourdain, c’est une présence.

Tu le regardes à la télé, et il est là, devant toi, tout entier, connecté à l’instant présent, dévorant tout ce qui se passe autour de lui, ici, maintenant.

Les épicuriens disent que la pire chose que l’on puisse faire est de vivre dans les remords, les regrets ou l’espoir.

Ça ne sert à rien. Tu ne peux changer le passé et tu ne peux imaginer l’avenir, alors...

L’important est de vivre dans le moment présent.

C’est ce que faisait Bourdain. Jour après jour.

Le plus ironique est que j’ai appris sa disparitio­n alors que débutait le weekend de la F1. Le rapport ? Ce genre d’événement bling-bling avec des gars qui se la jouent en fumant des cigares à 100 $ la bouffée et en se payant des pitounes à 80 $ la pipe est tout ce que Bourdain détestait.

Pour utiliser une expression à la mode, il aimait l’authentici­té.

Un bol de riz, une bière fraîche, des fous rires, une rencontre.

Anthony Bourdain s’est suicidé.

Comme disait un personnage dans un film de Marc-André Forcier : « Il n’y a pas assez d’ivresse pour noyer toute la détresse du monde. »

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