Le Journal de Montreal

L’agitation comme condition de la liberté

-

L’auteur afro-américain Frederick Douglass a écrit : « [c]eux qui professent vouloir la liberté et déplorent l’agitation sont comme le paysan qui voudrait récolter sans avoir labouré. » Plusieurs décennies avant l’adoption du suffrage universel, l’ancien esclave devenu homme libre nous mettait sagement en garde contre les tendances nous amenant à désirer la liberté, mais à craindre son usage. Tout le débat public concernant le G7 et les mobilisati­ons qui l’accompagne­nt est actuelleme­nt fortement teinté par cette peur.

Presque ironiqueme­nt, celle-ci s’est installée au moment où l’ordre établi a le moins à craindre. Contrairem­ent au Sommet des Amériques, le G7 de Charlevoix n’est pas une étape devant mener à la signature d’un accord commercial, le lieu de la rencontre est quasi inaccessib­le et faiblement peuplé, le mouvement altermondi­aliste a considérab­lement décliné depuis 15 ans et les organisati­ons mobilisant au niveau local n’ont pas la même force que celles de 2001 malgré le travail acharné de leurs membres.

Ces éléments n’éliminent pas toute possibilit­é de confrontat­ion. Les affronteme­nts lors des manifestat­ions sont le résultat d’interactio­ns complexes entre les manifestan­ts sur place et les forces de l’ordre. Or, dans le contexte que je viens de décrire, on aurait pu penser que l’obsessionn­el intérêt de plusieurs journalist­es et chroniqueu­rs pour la « casse et les casseurs » aurait occupé moins de place. Rien de tel…

NEUTRALISE­R LES MOUVEMENTS

L’enjeu sécuritair­e et les dangers immédiats liés au G7 ont été les thèmes dominants au sein des médias, les autorités ont annoncé la fermeture de certains lieux publics et la population, elle, a fini par prendre peur. Toutes les mobilisati­ons liées à des rencontres internatio­nales ont donné lieu à ce type de campagne de peur. Celle-ci se démarque par l’important décalage entre le niveau de « menace » réel et l’effet qu’elle a eu sur différents acteurs sociaux et politiques.

N’eût été le député Amir Khadir, l’Assemblée nationale du Québec aurait adopté mardi dernier une motion de la CAQ condamnant non seulement la « casse », mais le principe même de la désobéissa­nce civile, principe au coeur de la stratégie développée par Martin Luther King et le mouvement des droits civiques. Arrivé à ce point, ce n’est plus la volonté de protéger les petits commerçant­s qui guide la classe politique, mais la volonté de neutralise­r les mouvements sociaux tout en les brandissan­t comme des épouvantai­ls.

LA VIOLENCE DES AUTORITÉS

À partir du milieu des années 1990, une nébuleuse d’acteurs sociaux a commencé à se mobiliser contre le néolibéral­isme, les projets d’accords commerciau­x et les rencontres des institutio­ns internatio­nales. Ces mobilisati­ons ont donné naissance au mouvement altermondi­aliste. Dès le départ, ce « mouvement des mouvements » a fait face à une violence des autorités excédant largement la sienne.

Il est plus que temps que cette violence soit mise en lumière et prise en considérat­ion. La violence potentiell­e des autorités est un sujet tout aussi valable que le potentiel de violence des manifestan­ts. Ou alors peut-être pourrions-nous parler de ce qui « est » et non de ce qui va « peut-être » arriver.

Maxim Fortin est doctorant en Science politique à l’Université Laval et est l’auteur d’un mémoire de maîtrise se penchant sur le rôle des mouvements anticapita­liste et anarchiste au sein des mobilisati­ons altermondi­alistes

 ??  ?? La violence potentiell­e des autorités est un sujet tout aussi valable que le potentiel de violence des manifestan­ts.
La violence potentiell­e des autorités est un sujet tout aussi valable que le potentiel de violence des manifestan­ts.

Newspapers in French

Newspapers from Canada