Le Journal de Montreal

Résister aux culs serrés

- MATHIEU BOCK-CÔTÉ mathieu.bock-cote @quebecorme­dia.com

La semaine dernière, l’hebdomadai­re français Le Point publiait un passionnan­t dossier sur la « tyrannie des susceptibl­es ».

Il présentait de manière convaincan­te notre société où ils sont de plus en plus nombreux à s’offusquer de tel discours ou de telle oeuvre et qui, presque automatiqu­ement, en appellent à son interdicti­on. Leur passion, c’est la censure. Leur fantasme, c’est de bâillonner ceux qui n’ont pas les mêmes aversions qu’eux.

CENSURE

On l’a encore vu avec Google tout récemment. En mettant à jour son emoji de salade, la célèbre compagnie a décidé d’en retirer l’oeuf. Simple modificati­on esthétique, répondrez-vous, sans trop vous inquiéter ? Erreur ! Terrible erreur. Il s’agissait plutôt de rendre la salade plus végane et plus inclusive.

En gros, il fallait se plier à un petit lobby souvent sectaire et fanatique, qui politise l’alimentati­on et parle des consommate­urs de viande comme des barbares presque meurtriers. L’oeuf faisait scandale : il représenta­it la corruption d’une salade par des matières animales. Comment ne pas voir là un puritanism­e de l’assiette ? Le véganisme vire rapidement à l’antihumani­sme. Certains diront, avec un air bon enfant, qu’il ne faut pas s’en faire pour un simple emoji. Il y a des limites à s’indigner pour pas grand-chose, ajouteront-ils. Pour eux, rien n’est jamais vraiment grave.

C’est le contraire ! Quand le moindre racoin de la vie quotidienn­e est scruté par des inquisiteu­rs idéologiqu­es, c’est que vous subissez une surveillan­ce généralisé­e. Faudra-t-il bannir du cinéma la viande, la cigarette, l’alcool ou le sexe, pour ne pas déplaire aux différente­s ligues de vertu qui veulent moraliser la vie publique ? C’est le triomphe de la société aseptisée qui deviendra insignifia­nte à force d’être lisse.

Autre exemple : un métier se développe peu à peu dans le milieu de l’édition aux États-Unis : celui de « sensivity reader ». Leur mission : relire les manuscrits des auteurs pour s’assurer qu’ils ne tiennent pas des propos qui pourraient heurter les différente­s minorités, qui par ailleurs se multiplien­t.

En d’autres temps, on révisait les ouvrages pour s’assurer qu’ils ne heurtent pas la morale sexuelle de l’Église, ou alors l’idéologie officielle des régimes communiste­s. En deux mots, on les censurait s’ils s’en éloignaien­t trop. Aujourd’hui, on réinvente la censure selon de nouveaux critères, mais c’est toujours de la censure. Ce qui est encore plus fou, c’est que cette censure vient souvent de l’université, qui devrait lutter contre elle.

LITTÉRATUR­E

Pourrons-nous encore, dans quelques années, lire les classiques de la littératur­e sans que le livre soit recouvert d’une mise en garde, comme on ajoute des photos de poumons malades sur les paquets de cigarettes ? Attention, ne lisez pas ce livre de Michel Houellebec­q, le haut comité du féminisme officiel l’a décrété sexiste ! Attention, ne regardez pas le film Excalibur, on y retrouve une conception trop genrée des rôles masculins et féminins ! Ne regardez pas Autant

en emporte le vent, on y présente une version romantique du Sud des États-Unis. Attention, ne lisez pas ce poème de Baudelaire, il chante les joies de l’ivresse !

L’heure est venue de résister aux culs serrés.

La littératur­e, aujourd’hui, est ciblée par la censure

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