Le Journal de Montreal

La Cour d’appel rabroue un juge pour ses préjugés

- MICHAËL NGUYEN

La Cour d’appel a rabroué un juge qui a acquitté un père accusé d’inceste en se fondant sur des stéréotype­s et des idées préconçues sur la façon dont une victime devrait réagir face à son agresseur.

« En somme [le juge de première instance] a évalué la version de la plaignante en comparant son comporteme­nt à celui d’une victime d’agression sexuelle idéalisée », déplore le plus haut tribunal de la province dans une décision rendue cette semaine à Montréal.

SÉVICES

La Cour d’appel avait à se pencher sur l’acquitteme­nt d’un résident de MontRoyal de 70 ans accusé d’avoir agressé sexuelleme­nt sa fille pendant 16 ans. Cette dernière avait porté plainte en 2010, alors qu’elle était adulte et qu’elle vivait encore chez ses parents.

Au procès, la plaignante avait longuement témoigné sur les sévices qu’elle affirme avoir subis. Questionné­e à savoir pourquoi elle n’avait pas porté plainte avant, la jeune femme avait expliqué qu’elle avait voulu épargner à sa mère la souffrance qu’elle vivait.

Et si, lors de vacances, elle privilégia­it de dormir avec son père dans la chambre commune, c’était pour éviter qu’il ne s’en prenne à sa jeune soeur, avait dit la témoin.

Après huit mois de délibérati­ons, le juge Denis Mondor avait finalement acquitté l’accusé en rejetant la version de la plaignante.

Le magistrat s’était entre autres basé sur le fait que la femme avait pu continuer sa scolarité sans jamais « avoir tenté ou faire en sorte de se libérer de cette vie de tortionnai­re qu’elle vivait, que son père lui imposait ».

STÉRÉOTYPE

Mais le jugement de première instance ne tient pas la route, a tranché la Cour, qui souligne aussi que des passages sont incompréhe­nsibles. Ce que la Cour d’appel comprend, indique cette dernière, c’est que le juge semble surpris de la tardiveté de la plainte en raison de la personnali­té de la plaignante.

« Voilà un stéréotype bien ancré, d’autant plus que la plaignante s’est expliquée », ont tranché les juges de la Cour d’appel qui ont ainsi critiqué les « idées préconçues » du magistrat.

Ils lancent d’ailleurs une flèche au juge Mondor, qui a affirmé dans son jugement qu’une « solution simple » pour la victime aurait été de quitter le foyer familial, puisqu’elle occupait un emploi.

« Il n’existe pas de “règle immuable sur la façon dont se comportent les victimes de traumatism­es comme une agression sexuelle”, et les attentes manifestée­s par le juge sont fondées sur des stéréotype­s ou une généralisa­tion entachée de préjugés », a ainsi rappelé la Cour d’appel en invalidant l’acquitteme­nt.

Le père, qui ne peut pas être nommé afin de préserver l’identité de sa fille, devra revenir devant la Cour du Québec afin de fixer la date de son nouveau procès.

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