Le Journal de Montreal

Bien avant le choc Kean-Braidwood

Le 12 mai 2006, Shawinigan avait accueilli un combat historique

- JONATHAN BERNIER Le Journal de Montréal

SHAWINIGAN | Au cours des derniers jours, il n’a pas été rare d’entendre que le choc entre Simon Kean et Adam Braidwood constitue le combat de boxe impliquant un poids lourd québécois le plus attendu depuis des décennies. Pourtant, le 12 mai 2006, un autre duel de mastodonte­s avait connu son dénouement après avoir fait couler beaucoup d’encre.

Ce soir-là, également dans la Cité de l’Énergie, Patrice L’Heureux, de Shawinigan, et David Cadieux, de Trois-Rivières, avaient été impliqués dans le premier championna­t canadien exclusivem­ent québécois. Un combat qui, malgré sa saveur locale, avait retenu l’attention de tous les amateurs de boxe de La Belle Province.

« Il y en a qui ont la mémoire courte, lance L’Heureux, en entrevue téléphoniq­ue avec Le Journal. En 2006, il y a eu quelque chose de gros ! Ça a mobilisé beaucoup de monde. C’était incroyable. David et moi, on a marqué l’histoire. Des gens m’en parlent encore aujourd’hui. »

MIEUX QU’À MONTRÉAL

Un an et demi plus tôt, L’Heureux avait terrassé Steve MacKay pour devenir le premier poids lourd québécois depuis Robert Cléroux, en 1963, à porter la ceinture de champion canadien.

Cadieux était alors en pleine ascension. Sa stature de 6 pieds et 6 pouces, ainsi que son style lui avaient valu une invitation aux camps d’entraîneme­nt de Lamon Brewster – pour la préparatio­n de ce dernier en vue d’un combat de championna­t du monde contre Wladimir Klitschko – et de David Tua.

« Aller à Shawinigan pour les conférence­s de presse, c’était tout un trip. Il devait y avoir 500 personnes au Resto-Pub 57, sur le bord de la rivière Saint-Maurice, pour la pesée officielle, estime Cadieux, également joint par le Journal. Il y avait de grosses affiches sur des bâtisses de deux et trois étages. C’était comme à Montréal, mais en mieux. Parce qu’on était dans une ville moyenne, tout le monde était au courant. »

COMME UN GALA DE LUTTE

Yvon Michel avait hésité entre la métropole et l’aréna Jacques-Plante, situé dans la ville du champion canadien, pour la présentati­on de ce gala. Il n’a jamais eu le temps de regretter son choix.

Des quelque 4000 billets mis en vente deux mois avant le combat, plus de 700 avaient trouvé preneur dès le premier après-midi. Les organisate­urs avaient également vendu les trois quarts des tables VIP dans les 24 premières heures.

Les deux pugilistes, qui s’étaient affrontés à neuf occasions chez les amateurs (fiche de 5-4 en faveur de L’Heureux) et qui faisaient souvent des rondes d’entraîneme­nt ensemble, avaient fait un travail de promotion incroyable en s’invectivan­t de part et d’autre dans les semaines précédant l’événement.

« C’était pratiqueme­nt une pièce de théâtre. On avait monté ça comme un gala de lutte, raconte L’Heureux, dont le père, Gaétan, et Roger Lavergne, un ami de la famille, organisaie­nt l’événement. Ce qui s’est passé dans l’arène, c’était du réel. Mais, au niveau de la promotion, on s’était assuré d’aller chercher monsieur et madame tout le monde. »

« J’ai toujours eu la parole facile. Le monde disait : “Donnez du gaz à L’Heureux et ça va partir. Il va vous donner un show.” Ça avait marché. Même la télévision (TVA) était venue », poursuit Le Granit.

UNE CHALEUR SUFFOCANTE

C’est donc dans l’aréna Jacques-Plante plein à craquer, avec des spectateur­s debout dans les allées, dans les escaliers et sur les poutres qui tenaient la vieille structure en place, que les deux boxeurs s’étaient donné rendez-vous.

L’Heureux ne se souvient pas clairement de cette soirée. « Je me rappelle mon arrivée à l’aréna et du temps passé dans le vestiaire, mais le reste, c’est un black-out total. J’étais complèteme­nt en dehors de ma bulle », déclare l’homme d’affaires, en admettant avoir commis une grave erreur en demeurant trop attaché à la promotion de l’événement.

« J’aurais dû aller faire un camp, loin d’ici. Puisque mon père et mon ami avaient investi beaucoup d’argent là-dedans, je voulais rester proche pour être certain que tout allait bien. Je me suis mis une pression énorme. Je ne m’attendais pas à ce que ce soit un succès monstre comme ça. » Pour Cadieux, le souvenir est plus clair. « Je me souviens de la chaleur. C’était un jour de mai où il avait fait très chaud. Les projecteur­s de la télévision au-dessus du ring, auxquels je n’étais pas habitué, dégageaien­t également une grande chaleur. Tout ça, jumelé à la densité de la foule, faisait en sorte qu’on avait de la misère à respirer. On manquait d’air, comme si l’oxygène était rare. »

CADIEUX, CONTRE TOUTE ATTENTE

À quelques jours du choc, ils n’étaient pas nombreux à placer Cadieux favori.

Selon les observateu­rs, l’expérience et la force de frappe du Granit allaient lui permettre d’avoir le dessus. Même l’auteur de ces lignes, alors journalist­e au

Journal de Trois-Rivières, avait prédit une victoire au champion. C’était sans compter la stratégie du clan Cadieux.

« J’avais insisté pour que ce soit un combat de 12 rondes. Je savais que Patrice avait la force de frappe d’un bûcheron, qu’il cognait comme un truck. Mais, je savais aussi qu’il était prévisible. Mon analyse, c’était qu’il fallait une excellente condition physique pour endurer ça pendant cinq ou six rondes. Après, je prendrais le dessus », indique Cadieux, aujourd’hui directeur du Service des loisirs et de la culture de la ville de Louisevill­e.

L’aspirant avait frappé en plein dans le mille. Sauvé par la cloche lors des 5e et 6e rondes, L’Heureux a finalement subi le KO à la 23e seconde de la 7e reprise.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada