Le Journal de Montreal

Célébrer en français, ce n’est pas se « refermer »

- c antoine.robitaille @quebecorme­dia.com

Depuis une décennie, chaque année ou presque, il y a quelqu’un pour déplorer publiqueme­nt qu’on ne chante pas en anglais au spectacle de la fête nationale du Québec.

Cette semaine, c’est Hubert Lenoir, talentueux jeune chanteur, prix Félix Leclerc 2018, qui s’est « risqué » à le dire, à Radio-Canada.

C’est son droit. Il y a bien sûr de grands artistes québécois d’expression anglaise. Leonard Cohen au premier chef, lequel, soulignons-le, a été amplement célébré, honoré, avant et depuis son décès.

Mais pourquoi donc ce serait céder à une pulsion de « fermeture », cette journée-là, que de célébrer d’abord et avant tout — voire exclusivem­ent — la langue officielle du Québec, le français ?

La « fermeture » : c’est précisémen­t le reproche qu’a formulé Lenoir.

À ses yeux, la fête nationale « devrait être un moment pour être beaucoup plus ouverts, beaucoup plus inclusifs sur tout ; autant les génération­s, la jeunesse, les cultures, le monde aussi. Ça ne devrait pas être une occasion pour se refermer… un peu… sur son petit Québec. »

L’IDÉOLOGIE DE L’OUVERTURE

Je n’en veux pas à M. Lenoir pour avoir dit ça. J’en veux à l’idéologie qui parle à travers lui : appelons-la l’« ouverturis­me ».

Ah l’« ouverture », c’est vraiment devenu la valeur cardinale chez nous. On l’enseigne aux enfants dès la petite école.

Croyez-moi, je trouve ça formidable : surtout si cela veut dire accepter l’« Autre », chérir la diversité, lutter contre le racisme, contre les discrimina­tions, etc.

G. K. Chesterton constatait ceci : « Le monde moderne est plein d’anciennes vertus chrétienne­s devenues folles. » On dirait que c’est ce qui est arrivé à certaines idées issues de la pensée antiracist­e ; et plus précisémen­t à la sacro-sainte « ouverture ».

Évidemment, il faut dénoncer tout repli identitair­e. Si notre fête nationale exaltait excessivem­ent une identité québécoise pure ; si on y célébrait uniquement, par exemple, les descendant­s des 60 000 colons français catholique­s conquis en 1763, il faudrait réagir.

MÊME LE FRANÇAIS DEVIENT SUSPECT

Or, depuis longtemps au Québec, la Saint-Jean n’est aucunement cela. On y fait constammen­t l’éloge de la différence, du métissage.

Évidemment, on agite le drapeau québécois et on célèbre le français, langue de convergenc­e du creuset québécois. Mais voilà qu’aujourd’hui, l’idéologie de l’ouverture commence à trouver cela suspect, y voit des réflexes de repli.

Elle réclame donc, comme le fait Hubert Lenoir, toujours plus de « diversité ». Bref à la Saint-Jean, il faudrait célébrer « les cultures, le monde aussi ». Pour l’idéologie de l’ouverture, au fond, toute fête nationale devrait être abolie. Il ne devrait y avoir de célébratio­ns qu’« internatio­nales ». L’ONU ou rien.

Aussi, pour l’ouverturis­me, il serait urgent de faire une grande place, lors de la fête nationale du Québec, à une pauvre langue méprisée, minoritair­e et peut-être même en voie de disparitio­n… l’anglais.

J’ironise, évidemment. Car tous les jours, partout, dans nos ordinateur­s, nos téléphones, dans nos concerts de fin d’année scolaire, dans nos festivals, dans nos restaurant­s, etc., ça ne chante à peu près plus qu’en anglais. Lorsqu’on ose dire qu’une fois par année, on doit réserver toute la place au français, langue minoritair­e et précaire en Amérique, on se fait répondre qu’on veut se « refermer sur son petit Québec » ! Respectueu­sement, je réponds non. Car le précaire, la minorité, la « diversité », l’« Autre », en ce continent, c’est le français et la nation distincte qu’elle fonde chez nous. Et c’est justement ce qu’on célèbre à la Saint-Jean. Une journée par année. Une seule !

Réclamer autre chose, en se donnant des airs de rebelle comme le fait M. Lenoir, c’est, au nom de la diversité, de l’ouverture, nuire à la diversité et favoriser un conformism­e culturel.

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Jeux de pouvoir @Ant_Robitaille l
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Chanter uniquement en français au spectacle de la fête nationale ne revient aucunement à se « refermer sur notre petit Québec », comme l’a dit le chanteur Hubert Lenoir.

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