Une maladie qui débute dès l’enfance
Une analyse approfondie du génome de plusieurs patients atteints d’un cancer du rein indique que ces tumeurs ont comme origine un bris de chromosome qui s’est produit durant l’enfance ou l’adolescence, parfois jusqu’à 50 ans avant le diagnostic de la tumeur. CARCINOME À CELLULES RÉNALES
Le cancer du rein affecte environ 300 000 personnes chaque année dans le monde, avec près de la moitié des personnes atteintes qui décéderont de cette maladie. La forme de cancer rénal la plus fréquente (entre 60 et 80 % de tous les cancers du rein) est ce qu’on appelle le carcinome à cellules claires (clear cell renal cell carcinoma, ou ccRCC), une tumeur qui se développe au niveau des cellules épithéliales du cortex rénal (portion externe du rein) et qui est caractérisée par des cellules cancéreuses rondes et dont le liquide intérieur (cytoplasme) est translucide.
Au niveau moléculaire, une des principales caractéristiques du ccRCC est la perte d’une partie du chromosome 3. Ce phénomène est observé chez la quasi-totalité des personnes atteintes de ce cancer et joue certainement un rôle important dans l’évolution de la maladie, car ce segment d’ADN contient plusieurs gènes suppresseurs de tumeurs, le plus connu étant le VHL (appelé ainsi, car des mutations de ce gène sont responsables de la maladie de Von Hippel-Lindau). Étant donné que la perte de suppresseurs de tumeurs est un mécanisme impliqué dans le développement de plusieurs types de cancers, il est donc fort probable que l’élimination de cette région du chromosome 3 contribue au développement du ccRCC.
CATASTROPHE DANS LES CHROMOSOMES
Pour mieux comprendre la séquence d’événements impliqués dans la perte d’un segment du chromosome 3 et l’évolution du cancer qui s’ensuit, une équipe de scientifiques britanniques du Wellcome Trust Sanger Institute a entrepris la tâche herculéenne d’analyser la totalité du matériel génétique provenant de 95 biopsies prélevées à différents endroits des tumeurs de type ccRCC présentes chez 33 personnes distinctes (1). Ils ont remarqué que chez près de la moitié des patients, le segment du chromosome 3 manquant était disparu par un éclatement pur et simple de ce chromosome par le phénomène de « chromothripsis » (en grec thripsis veut dire « tailler en pièces »). Ce phénomène est une véritable catastrophe, car le chromosome est alors brisé en des dizaines, voire des centaines de fragments et ne peut être adéquatement réparé par la cellule. Dans le cas des ccRCC, il semble que cette fragmentation se produit en même temps qu’une copie supplémentaire du chromosome 5 est réalisée, ce qui mène à la création d’un réarrangement où une partie du chromosome 3 se retrouve fusionnée avec le chromosome 5.
DOMMAGE PRÉCOCE
En utilisant des techniques complexes « d’archéologie moléculaire » permettant d’estimer le moment d’apparition des altérations dans l’ADN des cellules cancéreuses, les auteurs ont découvert que la fusion entre les chromosomes 3 et 5 était un événement très précoce dans le développement des tumeurs ccRCC, se produisant de 30 à 50 ans avant que ces cancers soient détectés en clinique. Puisque la majorité des ccRCC sont diagnostiqués vers l’âge de 60 ans, cela signifie que l’élément déclencheur de ces cancers s’est produit très tôt dans la vie de ces patients, durant l’enfance ou l’adolescence.
Cette très longue latence s’explique par le fait que, malgré la gravité des dommages subis par le chromosome 3, cette mutation n’est pas suffisante à elle seule pour véritablement déclencher la progression du cancer et que l’expansion initiale des mutants se limite à une centaine de cellules seulement. Nous possédons une autre copie du chromosome 3 qui peut prendre la relève et empêcher le développement du cancer. Selon les auteurs, il est d’ailleurs probable que la plupart d’entre nous possèdent certaines de ces cellules précancéreuses, sans pour autant développer un cancer du rein.
Avec le temps, par contre, le risque de mutation dans le deuxième chromosome 3 s’accroît, et lorsqu’une telle mutation se produit dans le gène suppresseur VHL, la tumeur peut alors commencer à véritablement progresser et aboutir à un cancer mature. Comme c’est le cas pour l’ensemble des cancers, cette longue latence offre néanmoins une large fenêtre de prévention et il est permis d’envisager que nous pourrons d’ici quelques années développer des méthodes pour identifier les patients qui sont porteurs d’une tumeur rénale immature et ainsi intervenir rapidement, avant que le cancer n’atteigne un stade avancé et difficile à traiter.
En attendant que ces outils soient disponibles, il est bon de rappeler que certaines facettes du mode de vie augmentent le risque de cancer du rein et qu’une modification de ces habitudes peut contribuer à prévenir l’apparition des mutations additionnelles qui permettront le développement de ce cancer. Un des facteurs les mieux caractérisés est le tabagisme, et il n’y a pas de doute que cesser de fumer représente une action concrète pour diminuer le risque de cancer rénal (de même que le cancer du poumon, de la vessie, et une dizaine d’autres types de cancers). Un autre facteur important est le surpoids, l’obésité en particulier, qui triple le risque de cancer du rein possiblement parce que l’excédent de graisse qui enveloppe les organes de la cavité abdominale (comme le rein, le côlon, l’utérus) procure un environnement riche en molécules inflammatoires qui favorisent l’apparition de mutations et la progression du cancer.