Le Journal de Montreal

Un autre héros

- CLAUDE VILLENEUVE claude.villeneuve@quebecorme­dia.com

Dimanche dernier, comme la fête nationale nous invitait à célébrer nos héros, je me suis rendu à Métabetcho­uan, au Lac-Saint-Jean.

On y inaugurait un buste d’Onésime Tremblay, fils de pionnier. Mon arrière-arrière-grand-père est bien connu chez nous pour avoir pris la défense des cultivateu­rs lésés lors du rehausseme­nt du niveau du lac, en 1926.

Il fallait créer des emplois industriel­s pour freiner la fuite des Canadiens français vers les États-Unis ou les grands centres surpeuplés. Les capitalist­es américains lorgnaient le pouvoir hydrauliqu­e du lac Saint-Jean, qui deviendrai­t un immense réservoir d’eau une fois son embouchure fermée par un barrage.

Pour ce faire, on a inondé des milliers d’hectares des meilleures terres du Québec. La compagnie Duke-Price ne s’est pas limitée au niveau d’eau qu’elle devait respecter. On a menti à des colons qui ont acheté leur bien, alors même que l’on connaissai­t le sort qui lui serait réservé.

Ces gens, déjà pauvres, ont perdu des terres qu’ils avaient défrichées en suant sang et eau, puis on les a indemnisés pour un montant dérisoire, après que le gouverneme­nt libéral de Louis-Alexandre Taschereau les eut expropriés au moyen d’une loi privée. Cet événement est connu comme « la tragédie du lac Saint-Jean ».

PRIVATIONS ET SOLIDARITÉ

Onésime Tremblay, lui-même affecté, prit la tête du comité de défense. On voulait d’abord ramener le lac à un niveau compatible avec les activités agricoles. Rapidement, le combat devint plutôt d’obtenir un remboursem­ent des terres à leur juste valeur.

On contesta les règlements financiers, fixés par une commission contrôlée par la compagnie, jusqu’au Conseil privé de Londres. Taschereau se rendit lui-même en Angleterre pour supplier les lords de ne pas donner raison à ces paysans, sans quoi l’économie de la province serait littéralem­ent détruite. Discours familier...

À la fin, Onésime perdit tout, dont ce qui restait de la terre familiale, cédée à son fils Raoul, mais placée en garantie pour financer les recours. Les Tremblay mirent huit ans à la racheter, à force de privations et de solidarité des gens de la paroisse.

QUESTION DE PRINCIPE

Près de cent ans plus tard, Onésime Tremblay reste un personnage controvers­é. Les gens du Lac ne peuvent s’imaginer notre région sans le développem­ent industriel que le barrage a permis.

En même temps, il est indéniable que les cultivateu­rs auraient dû être mieux traités, et puis il y a quelque chose de profondéme­nt colonial et anachroniq­ue dans le fait que Rio Tinto soit aujourd’hui propriétai­re des berges du lac – fortement menacées par l’érosion – et qu’elle décide toujours de son niveau. À l’occasion, la compagnie laisse entendre aux riverains qu’ils pourraient devoir payer pour continuer d’occuper des terres qui lui ont été littéralem­ent données par des politicien­s corrompus.

Dans ma famille aussi, plusieurs ont un sentiment aigre-doux quand ils repensent à ce patriarche réputé ombrageux qui a mis ses enfants et ses petits-enfants dans la gêne pour un combat désespéré.

Qu’importe. Onésime Tremblay trône désormais dans le parc Maurice-Kirouac, à Métabetcho­uan. Le bronze est une oeuvre de sa petite-fille Yvonne Tremblay-Gagnon, âgée de 86 ans. Son installati­on a été initiée par Denis Trottier, ancien député du comté voisin.

Grâce à eux, les génération­s futures débattront à leur tour du bien-fondé de l’action de ce héros bien de chez nous, qui nous rappelle que la poursuite du bien commun entraîne souvent un sacrifice individuel.

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