Le Journal de Montreal

L’antiracism­e raciste

- LISE RAVARY lise.ravary@quebecorme­dia.com

La poignée d’activistes antiracist­es qui ont manifesté devant le TNM contre le spectacle SLĀV de Betty Bonifassi et de Robert Lepage portaient des pancartes en anglais. Pour nous convaincre que l’art est tributaire de la « race » et que nous étions du mauvais côté de la lutte contre le racisme, ils ont affiché leur mépris des francophon­es, tous des racistes impénitent­s selon la gauche anglo-canadienne.

Mais leur choix de protester en anglais traduit une autre réalité. Ces radicaux, dont plusieurs seraient de Concordia – l’UQAM des Anglos –, s’abreuvent du petit lait de la vengeance raciale qui mijote aux États-Unis et dont le mouvement Black Lives Matter est devenu l’épicentre.

COLÈRE JUSTIFIÉE

Si j’étais Afro-Américaine – et même sans l’être – j’en aurais moi aussi gros sur le coeur. Malgré la lutte pour les droits civiques, les enseigneme­nts de Martin Luther King, malgré un président noir, des policiers abattent des jeunes Noirs à une fréquence ahurissant­e et s’en tirent à bon compte devant les tribunaux.

Sans compter que Trump a donné une bonne couche d’acceptabil­ité sociale au racisme quand il a dit « qu’il y avait des gens bien des deux côtés » lors du rallye néonazi de Charlottes­ville en août dernier.

De bons Blancs inquiets ont appelé la police pour dénoncer une fillette noire qui vendait des bouteilles d’eau sans permis pour aller à Disney World, un homme noir qui lisait tranquille­ment sur un quai et de jeunes entreprena­nts qui tondent les pelouses l’été.

Rien de plus dangereux qu’un adolescent noir de 12 ans armé d’une tondeuse et d’un souffleur à feuilles.

Oui, l’extrémisme antiracism­e a des causes profondes et légitimes, mais pourquoi importer ici une stratégie de confrontat­ion née de l’histoire des États-Unis alors que notre réalité a toujours été différente ?

Par exemple, entre 1671 et 1834, on comptait 4200 esclaves en Nouvelle-France, dont 1400 Africains. En comparaiso­n, il y avait près d’un demi-million d’esclaves amenés d’Afrique dans les 13 colonies au moment de la Révolution américaine en 1770.

Et ne soyons pas dupes, le racisme anti-Blancs existe en Afrique – j’en ai fait l’expérience en Côte d’Ivoire – et le racisme anti-Noirs défigure depuis longtemps le Maghreb.

On apprenait récemment que l’Algérie avait abandonné 13 000 migrants africains dans le désert du Sahara, sans eau ni nourriture, depuis un an.

LA VICTIMITE

Il y a les vraies victimes et il y a les autres. Se déclarer victime est devenu pour certains la seule façon d’être remarqués, entendus et d’obtenir réparation. Sauf que la victime ne peut exister sans un bourreau. C’est ainsi que s’installe le cycle accusation­s-récriminat­ions-ressentime­nt qui mène aux conflits ouverts.

Le monde est monté sur ses grands chevaux.

Et s’il faut choisir notre camp non pas en fonction de ce qui est juste, mais en fonction de l’ethnicité, de la culture ou de la couleur de la peau, nos grands chevaux ne sont pas sortis du bois.

En ces temps difficiles, nous devons laisser les artistes créer librement, car de leurs oeuvres jaillit la lumière qui éclaire le chemin de l’humanité.

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« Se déclarer victime est devenu pour certains la seule façon d’être remarqués »
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