Le Journal de Montreal

La soeur sexologue

- DENISE BOMBARDIER Journalist­e, écrivaine et auteure denise.bombardier @quebecorme­dia.com

« Je ne suis plus au Québec et je ne veux plus rien savoir du Québec ». C’est ainsi que Marie-Paul Ross, religieuse sexologue et infirmière qui a connu ses heures de gloire au Québec, a répondu à ma consoeur du Journal Magalie Lapointe, qui l’a rejointe au Nouveau-Brunswick.

La religieuse y pratique désormais son métier après être partie à la suite d’une dénonciati­on de la part d’une victime qu’elle avait traitée. Marie-Paul Ross a été une vedette médiatique qui séduisait le public par ses conférence­s sur le sexe. On la trouvait large d’esprit et son assurance quand elle parlait de la sexualité ravissait les foules.

On ignorait que cette femme consacrée à Dieu son époux faisait des affaires avec deux frères de la communauté, des frères maristes avec lesquels elle avait fondé son institut de développem­ent intégral. Or, Marie-Paul Ross était la thérapeute d’agresseurs religieux, dont des frères Maristes, et en même temps des victimes de ces mêmes frères. Ce qui est une situation évidente de conflit d’intérêts.

INDIGNATIO­N

Le dossier publié dans le Journal de samedi soulève l’indignatio­n. Car soeur Ross était aussi conseillèr­e à la cour lors du procès des religieux pédophiles et elle assurait au tribunal que ces derniers, des frères maristes, qui avaient suivi ses thérapies, ne représenta­ient que de faibles risques de récidive. Or, l’avocat de la communauté siégeait aussi au conseil d’administra­tion de l’institut.

Le père Raymond-Marie Lavoie, un rédemptori­ste pédophile notoire qui a plaidé coupable d’agressions sexuelles sur treize adolescent­s, a lui-même suivi une thérapie à l’institut de soeur Ross qui formait elle-même des thérapeute­s selon sa méthode qu’elle présentait comme universell­ement reconnue. Dans le cas du pédophile Lavoie, elle a aussi déclaré que le risque de récidive était faible.

En lisant cette enquête factuelle dépouillée de sensationn­alisme, on découvre de nouveau la collusion religieuse pour protéger les communauté­s au sein desquelles ont sévi trop d’agresseurs d’enfants. Dans ce cas, une religieuse formée comme infirmière et sexologue a participé à une opération de camouflage pour protéger la réputation des religieux.

MALAISE

Cette femme d’apparence enjouée, accorte et énergique, je l’ai croisée à quelques reprises dans des salons du livre. Et j’ai entendu ses discours, ambigus dans la bouche d’une épouse de Jésus. Il flottait un malaise dans ses propos à l’allure affranchie. Comment a-t-elle pu traiter à la fois les agresseurs et les agressés dans son institut dirigé par des frères maristes confrères des agresseurs ? Comment a-t-elle cautionné de ses conseils profession­nels les thérapies d’anciens élèves de cette communauté ? Et cela dans le même temps.

L’Église, on le sait, aime le silence en ces matières sexuelles. Soeur Ross conseillai­t aussi aux victimes de ne pas porter plainte. Pour leur propre équilibre peut-être ?

Marie-Paul Ross se disait aussi féministe. Elle a reçu la médaille de l’Assemblée nationale pour son engagement social et communauta­ire. Sans doute cette noble assemblée ignorait-elle que son engagement communauta­ire était d’abord réservé à l’Église et à la communauté des frères maristes. Pour la plus grande gloire de Dieu.

Amen.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada