Le Journal de Montreal

La censure

- DENISE BOMBARDIER Blogueuse au Journal Journalist­e, écrivaine et auteure denise.bombardier @quebecorme­dia.com

Que cela se sache. La censure non seulement existe, mais elle triomphe. Car elle a des adeptes dans tous les secteurs d’activités humaines. En politique comme à l’université, chez les intellectu­els comme chez les artistes et dans les médias.

La censure a gagné du terrain cette semaine à Montréal. Une poignée de militants dont plusieurs s’abreuvent au biberon à longueur d’année dans la Mecque de la rectitude politique qu’est l’université Concordia ont réussi l’exploit de tuer le spectacle SLĀV, qu’ils n’avaient jamais vu.

Un rappeur noir américain – non pas une star mondiale, précisons-le – a annulé le concert qu’il devait présenter dans le cadre du Festival internatio­nal de Jazz de Montréal, dont les dirigeants ont fait par la suite leur mea culpa.

TOTALITAIR­E

La censure a été de tout temps une tentation totalitair­e. Ceux qui l’appellent de leurs voeux et qui se réclament de la liberté de parole et d’expression ont le droit de le faire. Ils font la preuve ainsi que la censure n’a pas la primauté sur la liberté.

Mais lorsqu’au nom de la rectitude politique et du droit des victimes de quelques causes que ce soit on veut censurer des oeuvres de création, des livres ou des films qui ne violent pas la dignité humaine, on doit la combattre, y résister et user de la pédagogie sans laquelle on plonge dans la confusion idéologiqu­e, artistique, raciale ou culturelle.

La démence sociale n’est pas qu’un concept, c’est une réalité. Notre société deviendra folle si les individus consentent à vivre chacun dans des créneaux où ils s’emprisonne­nt eux-mêmes.

Où sont donc les valeurs universell­es autour desquelles nous avons réussi depuis quelques siècles à faire triompher des droits communs à tous les habitants de la planète ? La barbarie subsiste, mais elle est le fait de barbares. Si dans nos contrées on ne coupe plus la main du voleur, c’est que l’on estime que chacun a droit à son intégrité.

L’esclavage, cette tache indélébile dans l’histoire de l’humanité, a été le fait de barbares, qu’ils fussent blancs, noirs, jaunes ou bruns. Et ceux qui ont lutté contre cette infamie étaient aussi blancs, noirs, jaunes ou bruns.

SENSIBILIT­É

La souffrance n’a pas de hiérarchie raciale, sociale, culturelle ou religieuse. L’être humain, qui a une âme noble, un coeur aimant, une tête pour raisonner, une sensibilit­é pour éprouver de la compassion, de l’empathie, peut se mettre dans la peau de toute victime. Aucun groupe humain ne peut réclamer le monopole de la souffrance au détriment de celui des autres.

Le concept d’appropriat­ion culturelle est le piège de tous les groupes victimaire­s qui prétendent à des statuts particulie­rs. Le jour où des racisés seront confinés à leur race, ils subiront une ghettoïsat­ion pire que celle dans laquelle ils furent maintenus durant l’esclavage pratiqué entre autres dans le sud des États-Unis.

Le dérapage actuel nous enseigne une chose terrible. L’homme n’apprend rien de ses erreurs et de l’histoire qu’on désire désormais commune à la planète entière. Pratiquer la censure, c’est retourner aux années noires des plus grandes nations totalitair­es.

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