Le Journal de Montreal

Tolérer ce que l’on n’aime pas

- CLAUDE VILLENEUVE claude.villeneuve@quebecorme­dia.com

Personnell­ement, je n’aime pas la musique de Safia Nolin. Écouter une de ses chansons me donne l’impression d’entendre un chat agoniser après s’être coincé la queue dans une porte-patio.

Par contre, je dois avouer que j’admire son culot. Je constate aussi que la presse culturelle et une partie de mon cercle d’amis réagissent à chacune de ses offrandes comme si on avait mis la main sur des selles pontifical­es.

Et vous savez quoi ? Ça me va très bien comme ça. Je suis super content que Safia Nolin trouve son public, je lui souhaite de vivre de sa musique et j’espère que mes amis pourront profiter longtemps du travail de cette artiste qui contribue à les rendre heureux.

J’ai la même relation avec Xavier Dolan. Regarder un de ses films me fait l’effet de voir quelqu’un faire crisser ses ongles sur un tableau pendant deux heures. Toutefois, je suis jaloux de son toupet (au sens propre comme au figuré), je respecte sa démarche et je suis fier jusqu’à l’orgueil lorsqu’il brille sur la scène internatio­nale. Je ne fais pas partie de son public, c’est tout.

SNOBISME CULTUREL

Il me semble qu’on a de la misère avec ça, à notre époque. Quand on n’aime pas quelque chose, on le dénigre, on voudrait que ça cesse d’exister.

Les réseaux s’enflamment quand Hubert Lenoir se déhanche pendant une émission grand public. Ou les animateurs de radio privée nient l’importance de Réjean Ducharme parce que personne ne connaît son oeuvre parmi les gens qui vont regarder le football chez eux le dimanche après-midi.

De même, on a tous des amis qui se moquent de nos goûts musicaux, parce que jugés trop convenus ou commerciau­x. Le snobisme culturel n’a pas été inventé par les hipsters, mais admettons qu’en ces temps polarisant­s, tolérer ce que l’on n’aime pas devient une vertu de plus en plus rare.

PAS PLUS NOBLE

Quand on parle de SLĀV et de tout le débat sur l’appropriat­ion culturelle, il faut évidemment convenir que ce n’est pas de goûts dont on discute, mais bien de principes et de valeurs. On ne dénigre pas ses qualités artistique­s. On critique l’intention, l’approche et le contenu d’une oeuvre produite par une culture dominante, au détriment d’une identité opprimée.

Cela dit, on ne me convaincra pas qu’il est plus noble d’interdire une oeuvre pour des raisons politiques que pour des motifs esthétique­s. En 2010, un animateur de radio de Québec avait appelé au boycottage du disque québécois pour protester contre les quotas de chanson francophon­e et j’avais trouvé ça tout aussi cave.

Il faut écouter les gens qui ont critiqué la pièce SLĀV qui, selon eux, perpétue un système où des artistes noirs sont spoliés du fruit de leur création et qui renforce des stéréotype­s toujours présents. Prétendre que les chants des esclaves avaient nécessaire­ment besoin de Lepage et Bonifassi pour être entendus, c’est méprisant pour leurs descendant­s.

Cela dit, personne n’est plus avancé maintenant que SLĀV n’est plus à l’affiche. Parce que toute oeuvre, même dérangeant­e et inadéquate, peut servir des vertus pédagogiqu­es. Notamment parce qu’elle suscite une discussion.

Nous poursuivro­ns donc le traintrain habituel où chacun écoute et regarde ce qui lui plaît, en dénigrant ce qui rejoint les autres.

 ??  ?? Répétition du spectacle SLĀV Personne n’est plus avancé maintenant que SLĀV n’est plus à l’affiche.
Répétition du spectacle SLĀV Personne n’est plus avancé maintenant que SLĀV n’est plus à l’affiche.
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada