La vie après un accident de moto tragique
Marise Mailloux s’en rappelle encore dans les moindres détails, même cinq ans plus tard. Les champs à perte de vue, son mari et elle sur la moto, le gros tracteur devant eux, puis le noir…
Sans crier gare, le conducteur de la machine agricole a fait une manoeuvre pour tourner alors que la moto le dépassait sur l’accotement. La collision a été brutale.
« Quand j’ai ouvert les yeux, j’étais dans les airs, je tombais de la moto », se rappelle Marise Mailloux. Elle a rampé jusqu’à son mari, Patrice Duval, avec qui elle partage sa vie depuis une trentaine d’années. « J’ai vu qu’il n’avait plus de jambe. Il n’avait plus de lunettes, plus de casque et il râlait », dit-elle.
« Là, je me suis dit, on a eu un accident de moto, on est dans la marde. Je me suis mise à prier. J’ai demandé au Bon Dieu de ne pas vivre le décès de mon mari en pleine face », raconte-t-elle.
Patrice Duval, lui, ne se rappelle de rien. Mais quand il s’est réveillé à l’hôpital, il pensait que les lumières étaient fermées alors que la pièce était pleine de lumière.
« J’ai demandé à la docteure pourquoi les lumières étaient fermées, mais elle m’a répondu que la pièce était claire. […] Je vois d’un oeil à 2 %. Donc je peux voir que, là-bas, c’est pâle, mais que là, c’est foncé. Mais ne me demande pas c’est quoi la couleur. Si tu bouges, je détecte un ombrage qui bouge et j’essaye de deviner », explique l’homme de 57 ans.
Comme si ce n’était pas suffisant, sa femme et lui ont chacun perdu une jambe. Ils ont été amputés au-dessus du genou. Le couple dans la cinquantaine a dû apprendre à refaire sa vie autour de leurs handicaps. Une vie qui ne sera jamais plus comme avant.
UNE MAISON SUR MESURE
Modifier leur duplex à Cowansville pour qu’il soit vivable aurait été trop coûteux et compliqué, le couple a donc préféré se faire construire une nouvelle maison.
Marise Mailloux se rappelle de nuits blanches et de moments d’angoisse lors de discussions avec la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ) pour avoir l’argent auquel ils ont droit pour financer les adaptations nécessaires. Les ergothérapeutes du couple avaient émis 15 pages de recommandations pour que la maison soit conforme à leurs besoins.
Depuis près de quatre ans, le couple réside dans un nouveau développement de Cowansville. Le Journal a pu visiter leur maison, qui n’a pas de deuxième étage. Au rez-de-chaussée, tout est sur mesure.
« Tout a été calculé. La douche, la grandeur de la chambre, le four, jusqu’à la profondeur du lavabo », énumère Patrice Duval.
Les deux se déplacent grâce à des prothèses, et Patrice Duval utilise parfois un fauteuil roulant, ce qui rend les mouvements plus compliqués.
PERDRE SON AUTONOMIE
Le coup le plus dur a été la perte de la vue pour Patrice Duval, un ancien travailleur d’usine qui adorait patenter sur ses trois ordinateurs à la maison. Son monde s’est soudainement rétréci, et voyager est devenu beaucoup plus difficile.
Il a dû apprendre à manger sans rien voir, avec l’aide de l’Institut Nazareth et Louis-Braille.
Patrice et Marise s’épuisent aussi plus rapidement qu’avant. Des tâches qui étaient faciles ressemblent soudainement à des montagnes. Les deux sont unanimes : la plus grande différence entre leur vie de maintenant et celle d’avant est la perte d’autonomie.
« On est trop limité », dit Marise Mailloux. Son mari renchérit : « Il faut tout le temps penser à tout. Et c’est plate, on ne travaille plus, on a nos payes quand même, mais on ne peut pas exploiter cet argent-là ».
« ON REGARDE EN AVANT »
Malgré toutes les embûches, les deux restent positifs et voient la vie du bon côté. Le fait d’avoir perdu la vue et une jambe n’a pas enlevé la bonne
« Je me suis mise à prier. J’ai demandé au Bon Dieu de ne pas vivre le décès de mon mari en pleine face » – Marise Mailloux
humeur de Patrice Duval, qui garde malgré tout les deux pieds sur terre et qui a fait plusieurs blagues pendant l’entrevue.
« Je suis positif de nature. Il y a toujours une solution. Je me dis attendons, ça va se placer », dit-il.
Remonter la pente a néanmoins été long. Marise Mailloux confie que c’est seulement depuis cette année qu’ils vont bien. Ils le diront plusieurs fois pendant l’entrevue : pour aller mieux, l’important est de ne pas regarder en arrière et de ne pas penser à ce qu’ils ne peuvent plus faire.
« Il faut dédramatiser, il faut de l’humour. On ne s’acharne pas sur notre malheur, on regarde en avant », lance Marise Mailloux.
« Il ne faut pas que tu t’acharnes sur ton malheur, c’est la pire affaire qu’il peut arriver », ajoute son mari.