Le Journal de Montreal

LOUISE DESCHÂTELE­TS

Comment cesser de me sentir coupable ?

- louise.deschatele­ts@quebecorme­dia.com

Je suis une femme de 40 ans avec un parcours difficile. Née dans une famille de quatre avec un père alcoolique et une mère dépressive et dépendante affective, je me suis mise à consommer très jeune. Élève médiocre, je détestais l’école. Mis à part la bande de délinquant­s qui y faisait la loi et à laquelle j’appartenai­s, rien ne m’y retenait.

Nos parents nous élevaient mal, mais je n’étais pas très malléable non plus. Un rien et je pétais ma coche. Mon frère aîné, un voyou du quartier, m’ayant appris à me défendre, il n’y avait pas grand monde pour me tenir tête. J’ai vécu de petits boulots sans jamais m’intéresser à rien. Comme mon frère était un habitué des passes d’argent facile, j’ai suivi son exemple et j’en ai fait quelquesun­es.

À 18 ans, je suis tombée en amour avec un de ses amis et je me suis laissée entraîner dans le trafic de drogues. Déjà que je prenais un coup solide, la consommati­on n’a pas amélioré ma condition. Je n’ai jamais fait de prostituti­on, mais je suis souvent passée proche. À 20 ans, je suis tombée enceinte de ce garçon. Je l’aimais tellement que je ne me voyais pas avorter, même si la venue d’un enfant n’était pas dans mon programme.

J’ai mis cet enfant au monde malgré son père, mais comme il a décidé de me quitter tout de suite après l’accoucheme­nt, j’ai pensé pouvoir le retenir en donnant l’enfant en adoption. Ça n’a pas marché. Il est parti quand même. J’ai alors sombré dans une des pires descentes aux enfers. Pendant les vingt années qui ont suivi, je n’ai fait que m’enfoncer un peu plus dans l’alcool et la drogue. Mes parents sont décédés et j’ai rompu avec le reste de ma famille qui ne m’était d’aucun secours, bien au contraire.

J’ai eu des chums, je les ai largués, j’ai eu des jobs, je les ai perdus, jusqu’à ce que je touche le fond du baril, comme on dit. Il y a deux ans, je ne sais par quel miracle de la vie, une copine alcoolo comme moi m’a entraînée à une réunion des AA. Il faut croire que j’étais rendue là puisque je fus touchée par la grâce. Je n’ai plus touché à une goutte d’alcool ni à aucune drogue depuis ce temps.

Je ne te dirai pas, Louise, que je ne consommera­i plus jamais, car je prends ça une journée à la fois. Sur ce plan-là, je dirais d’ailleurs que ça va pas mal. Mais sur le plan moral, ça ne va pas du tout. À mesure que je suis entrée dans la sobriété, la culpabilit­é d’avoir abandonné mon enfant s’est installée en moi. Pas une journée sans que je ne pense à lui. Pas une journée sans que je ne me dise à quel point ce geste a été le pire geste de ma vie. Penses-tu que ça va s’arrêter un jour, ce sentiment de culpabilit­é ? Sonia

Tout sentiment de culpabilit­é est un frein à l’évolution personnell­e. Il faut donc faire le maximum pour sortir de cette ornière. Dites-vous que ce geste, que vous avez posé jadis, vous l’avez posé pour des raisons valables à l’époque. Elles ne le sont plus aujourd’hui, mais vous ne pouvez plus le changer. La seule chose à faire désormais, c’est d’aller de l’avant, en cherchant les moyens de le compenser pour lui donner une valeur ajoutée.

Vous avez déjà fait une partie de votre chemin de rédemption en vous engageant dans les AA et en changeant un aspect important de votre mode de vie. Bravo ! Il reste maintenant à décider de vous pardonner cet abandon, et même à entreprend­re, si vous en avez l’envie seulement, la recherche de cet enfant. Mais rien ne presse, car le plus important pour l’instant, c’est d’apprendre à vous pardonner.

Pensée du jour On n’éprouve pas beaucoup de plaisir à prendre des remèdes, par contre un très bon remède est le plaisir. – Josh Billing

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