Le Journal de Montreal

Les garçons de l’humanité

- LISE RAVARY lise.ravary @quebecorme­dia.com

Ce que l’humanité a de plus beau, de plus noble, de plus généreux se déploie présenteme­nt en Thaïlande où, dans une course effrénée contre la montre, de courageux plongeurs essaient de ramener à la surface 12 garçons et leur entraîneur de foot, coincés par la mousson au fond d’une grotte, à près de 1000 mètres de profondeur. Au moment d’écrire ceci, quatre garçons, qui ne manquent pas de courage non plus, ont été évacués.

SAUVETAGE ÉMOTIF

Le monde a les yeux rivés sur la grotte de Tham Luang Nang depuis le 23 juin. Avant de commencer l’opération de sauvetage, dimanche, les autorités ont chassé du périmètre des centaines de journalist­es et des dizaines de cars de reportage de médias internatio­naux, chacun jouant du coude pour être le premier à diffuser des images des garçons, morts ou vivants.

Nous sommes nombreux à suivre le sauvetage, l’estomac noué. Et pourtant, cela se joue si loin de nous. Nous ne pouvons rien faire pour aider ces garçons, pas même un traditionn­el don à la Croix-Rouge. Pourquoi sommesnous alors touchés à ce point par ce drame, alors que des milliers d’enfants meurent tous les jours, victimes de la guerre, du terrorisme ou de la maltraitan­ce, sans que nous y pensions un instant ?

Un enfant meurt de façon violente toutes les cinq minutes, selon l’organisme Global Partnershi­p to End Violence Against Children.

Que ce soit à Gaza, en Syrie, en Somalie, au Yémen, en Colombie, la vie des enfants vaut souvent moins que celle d’un adulte. Les plus démoniaque­s, comme le Hamas, s’en servent comme boucliers humains ou en font des bombes vivantes, une tactique privilégié­e par Boko Haram au Nigéria. Et pourtant, nous ne sommes pas scotchés à nos téléviseur­s pour voir comment l’histoire va se terminer.

Pourquoi réagissons-nous différemme­nt au drame des garçons de la grotte et à la souffrance des enfants de la guerre ? Bien sûr, la présence d’autant de médias, tous concentrés sur un seul événement, nous le rend plus réel que des images d’explosions, même si nous savons qu’il est possible que des enfants soient morts pulvérisés.

AUSSI NOS ENFANTS

La guerre déshumanis­e. Nous sommes incapables de nous projeter dans un conflit armé, de savoir comment on se sent pris entre deux feux, à moins de l’avoir déjà vécu. Mais nous pouvons facilement imaginer la situation critique que vivent les garçons en Thaïlande. Ils ont peur, ils ont froid, ils ont faim. Ils veulent plus que tout au monde revoir leur famille et connaître les résultats du Mondial, comme disait un sauveteur.

Devant la télé, nous devenons des parents de substituti­on. Nous sommes capables de surimposer le visage de nos propres enfants sur celui de ces petits malheureux. Ils sont réels. Ils ne sont pas que des nombres, que des ombres.

Le monstre génocidair­e qu’était Joseph Staline disait : « Un mort, c’est une tragédie. Un million, une statistiqu­e. »

Un massacre, une guerre, une famine nous bouleverse­nt, mais le sort de 12 garçons et de leur entraîneur, prisonnier­s sous terre, nous tire des larmes.

L’humain a besoin de savoir pour qui il pleure.

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