Le Journal de Montreal

DÉCRIMINAL­ISER LA COKE AUNOM DE LA SANTÉ PUBLIQUE

- ARNAUD KOENIG-SOUTIÈRE

QUÉBEC | La légalisati­on du cannabis doit ouvrir la voie à la légalisati­on de toutes les drogues, dont la cocaïne, croient des experts, qui estiment que la répression envers les stupéfiant­s a prouvé son inefficaci­té sur le plan de la santé publique.

« Les êtres humains ont toujours consommé de la drogue [...] et vont toujours en consommer. Il n’y a aucun pays où la répression fonctionne », évalue Anne-Noël Samaha, professeur­e au départemen­t de pharmacolo­gie et membre du Groupe de recherche sur le système nerveux central de l’Université de Montréal.

L’impossibil­ité de bien connaître tous les produits qui se retrouvent dans une drogue de la rue est un argument soulevé par plusieurs intervenan­ts qui prônent une légalisati­on plus large.

« On contrôlera­it les concentrat­ions », poursuit Mme Samaha, qui juge que l’idée a bon nombre de partisans au sein de la communauté scientifiq­ue.

Le directeur scientifiq­ue de l’Institut universita­ire sur les dépendance­s (CIUSSS de Montréal), Serge Brochu, croit que la légalisati­on complète serait envisageab­le « à moyen terme », « mais pas sur le même modèle que le cannabis ».

« COMMENCER À RÉFLÉCHIR »

« La décriminal­isation (cesser l’imposition de sanctions pénales) serait une première étape, estime celui qui est aussi professeur émérite à l’École de criminolog­ie de l’Université de Montréal. Je pense qu’il faut avoir un débat de société et commencer à réfléchir sur de nouvelles façons de faire. »

Actuelleme­nt, au Canada, une personne reconnue coupable de possession simple de cocaïne risque jusqu’à sept ans d’emprisonne­ment.

D’ailleurs, la Commission globale de politique en matière de drogues, un regroupeme­nt non gouverneme­ntal internatio­nal dont fait partie l’ancienne juge à la Cour suprême Louise Arbour, a publié en 2016 un plaidoyer en faveur de la décriminal­isation.

Un ancien revendeur de cocaïne rencontré par Le Journal affirme de son côté que la drogue sera présente « de toute façon ». « Tant qu’à ça, il pourrait y avoir un contrôle gouverneme­ntal et taxer la substance pour couvrir, entre autres, les frais de santé qui en découlent », estime-t-il.

Sans légaliser, plusieurs pays ont néanmoins déjà décriminal­isé plusieurs drogues, dont la cocaïne, et les résultats sont frappants (voir tableau Déjà décriminal­isé).

L’idée progresse d’ailleurs dans le paysage politique canadien. Le congrès du Nouveau Parti démocratiq­ue a voté en faveur d’un tel changement de cap, en février dernier, suivi par les militants du Parti libéral, en avril. Le gouverneme­nt de Justin Trudeau a toutefois signifié une fin de non-recevoir.

« COMPLÈTEME­NT ABSURDE »

La criminolog­ue Maria Mourani s’oppose quant à elle catégoriqu­ement à une légalisati­on complète, qu’elle considère comme « complèteme­nt absurde ».

« C’est de la foutaise. Tu ne peux pas rendre sécuritair­e un produit qui ne l’est pas par sa nature même, soulève-t-elle. C’est comme dire que si on légalisait le meurtre, il serait moins pire. Mais le meurtre reste un meurtre. »

Celle qui a siégé sur les banquettes de la Chambre des communes pendant près de 10 ans trouve « aberrant » que l’argument de la qualité du produit soit évoqué pour justifier une légalisati­on. « Même la cocaïne la plus pure, sans additif… ça te tue. Ça te détruit. Il y a un effet de la drogue qu’on ne peut pas nier », insiste Mme Mourani.

 ?? PHOTO JEAN-FRANÇOIS DESGAGNÉS ?? Mario Gagnon a consommé des drogues au point où il craignait d’en mourir. Trente ans plus tard, il apporte son soutien aux toxicomane­s du quartier Saint-Roch, à Québec, en tant que directeur général de l’organisme Point de repères.
PHOTO JEAN-FRANÇOIS DESGAGNÉS Mario Gagnon a consommé des drogues au point où il craignait d’en mourir. Trente ans plus tard, il apporte son soutien aux toxicomane­s du quartier Saint-Roch, à Québec, en tant que directeur général de l’organisme Point de repères.
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