La manne de l’or blanc
QUÉBEC | Les revendeurs de cocaïne consultés par Le Journal doutent que la légalisation du cannabis affecte leurs affaires.
« La vente de cannabis en magasin va sûrement accentuer sa banalisation. Mais de là à dire que le monde va se garrocher sur la coke, je ne suis pas sûr », affirme Marc-André*, qui a vendu de la cocaïne durant quatre ans.
D’autres trafiquants qui baignent dans le milieu abondent dans le même sens : la légalisation sera probablement sans effet sur leur commerce. « Les effets du pot et de la coke sont complètement à l’opposé, tu ne les consommes pas pour les mêmes raisons », croit Louis*, un revendeur de Québec.
Le portrait des consommateurs pour chacune des substances est différent, insiste Marc-André. « Si tu es un gros buveur d’alcool, tu as pas mal plus de chance d’aimer la poudre qu’un fumeux de pot. »
Les jeunes consommateurs qui voudront se tourner vers des substances illégales vont « tester le speed ou la MDMA avant la cocaïne, croit Louis. Peut-être qu’après un certain temps, ça peut mener à la coke », déclare-t-il.
À défaut d’espérer profiter d’une nouvelle clientèle prochainement, les trafiquants de cocaïne optent pour une autre avenue afin de tirer leurs profits vers le haut : l’indépendance.
INDÉPENDANTS
Ils sont de plus en plus nombreux à s’attaquer seuls au marché lucratif de la cocaïne au Québec, malgré l’omniprésence des groupes criminels.
Marc-André* avait 17 ans lorsqu’il a commencé à vendre de la drogue. Il a trouvé un contact montréalais sur le
dark web et s’est lancé dans la revente de cocaïne et de MDMA à Québec.
Il gagnait plus de 5000 $ par semaine. « Si ce n’est pas moi qui leur vends, ça va être quelqu’un d’autre, se justifie-t-il. Tu dois vendre au moins deux fois plus cher que tu l’achètes. C’est la règle d’or. »
Les vendeurs indépendants comme lui, qui échappent à l’emprise des organisations criminelles, sont de plus en plus nombreux sur le marché, constatent les corps policiers.
MOTARDS
Les motards criminels restent néanmoins l’organisation ayant la mainmise sur l’ensemble de la province, exception faite de Montréal où le marché est divisé.
« Avec les motards, c’est comme une assurance de maison. Tu payes un certain montant par quantité que tu achètes. S’il t’arrive quelque chose, par exemple tu te fais défoncer chez vous, ils te remboursent ton stock », explique Claude*, qui préférait s’assurer cette protection lorsqu’il vendait.
Les revendeurs indépendants s’évitent cette relation de protection, qui s’observe « plus souvent en région », selon un revendeur.
En sortant du giron du crime organisé, les vendeurs indépendants courent le risque de tomber dans les mauvaises grâces de criminels endurcis et réputés comme dangereux.
COLLABORATION
Malgré cette apparence de fractionnement du marché, la collaboration entre les différents groupes criminels saute aux yeux des corps policiers.
« Depuis deux ou trois ans, il y a beaucoup, beaucoup plus de collaboration », observe l’enquêteur à la police de Québec Pierrot Chapados.
Les groupes criminels font de la gestion de risque : si jamais une cargaison est saisie, les contrecoups seront diminués pour chacun.
Et pendant qu’une quantité est saisie au port de Montréal, d’autres marchandises arrivent en sol québécois par la Côte-Nord ou les Îlesde-la-Madeleine, nous explique un trafiquant.
« Ça peut rentrer de n’importe où. Autant par voie terrestre que par bateau. C’est ce qui complique notre travail maintenant », affirme Mario Fournier, lieutenant de l’Escouade nationale de répression du crime organisé à la Sûreté de Québec, qui avoue qu’« il n’y a pas vraiment de répercussions » dans la rue, même lors de saisies importantes.
*Noms fictifs