Le Journal de Montreal

SLĀV vue d’Afrique

- FATIMA HOUDA-PEPIN fatima.houda-pepin@quebecorme­dia.com

Je me trouvais en Afrique quand éclata la controvers­e autour de la pièce de théâtre SLĀV, au Festival de Jazz de Montréal.

De toute évidence, on a de la difficulté à dialoguer sur les questions qui fâchent. Comme il est plus facile de faire dans le jugement que dans l’analyse, on s’empresse de choisir son camp au lieu d’être à l’écoute du point de vue de l’autre.

Or, il y a des enjeux qui ne se déclinent pas en noir et blanc et qu’il faut savoir aborder avec nuances et parfois avec le langage du coeur.

L’EXIGENCE DE LA NUANCE

Le racisme est une idéologie violente basée sur une fausse théorie de la hiérarchis­ation des races et des ethnies. Dans le cas de l’esclavage, on parle de crime contre l’humanité.

Je ne pense pas que Betty Bonifassi qui a consacré 20 ans de sa vie à donner une voix aux chants des esclaves les haïsse à ce point. Il en va de même pour Robert Lepage.

Ceci dit, dans leur version controvers­ée de SLĀV, ils ont fait preuve d’un manque de sensibilit­é étonnant en négligeant de recourir à des artistes noirs pour interpréte­r le chant des esclaves.

Il est regrettabl­e que l’avis de l’artiste hip-hop et historien Webster qui en a fait la suggestion n’ait pas été écouté. Mais un spectacle est une oeuvre évolutive. Il n’est peut-être pas trop tard pour corriger le tir. Du moins, je le souhaite.

Il en va de la crédibilit­é de l’oeuvre, de l’authentici­té de son interpréta­tion visuelle et de l’équité à l’égard des artistes des communauté­s noires qui sont dramatique­ment sous-représenté­s dans le milieu artistique et culturel québécois.

Par contre, l’annulation du spectacle par le Festival de Jazz est une tombée de rideau peu glorieuse pour l’ensemble du milieu culturel québécois.

L’esclavage des Noirs est une histoire abominable. Le Canada et le Québec n’ont pas échappé à l’économie de l’esclavage. SLĀV aurait pu être une occasion tout indiquée pour lever le voile sur cette tragédie mal connue. Un rendez-vous manqué qu’il faut peut-être reprendre.

Au moment même où le Festival de Jazz de Montréal censurait le spectacle SLĀV, à Montréal, dans cette Afrique martyrisée par la traite négrière se déroulait un événement que plusieurs auraient dénoncé comme étant de l’appropriat­ion culturelle.

« UN PRÉSIDENT DANS LE SHRINE »

Il s’agit de la visite officielle du président français, Emmanuel Macron, du 3 au 4 juillet, dans le plus grand pays d’Afrique, le Nigéria, et dont le fait marquant était la célébratio­n de la culture africaine.

Pour livrer son message à la jeunesse nigérienne, le président français a choisi le New Afrika Shrine, à Lagos. Un club mythique chargé de puissants symboles, ayant été fondé par Fela Kuti, roi de l’afrobeat et de la contestati­on politique.

C’est dans ce haut lieu de création emblématiq­ue qui a vu naître la fusion entre la musique traditionn­elle africaine, le jazz, le soul et le funk que M. Macron a décidé de lancer la Saison africaine en France, prévue pour 2020.

Il a aussi profité de sa visite pour inaugurer le siège de l’Alliance française au coeur de l’Afrique anglophone. Une opération magistrale d’appropriat­ion culturelle.

Macron est tout de même le chef d’État d’une des puissances coloniales qui a pillé les ressources de ce continent et qui y a pratiqué l’esclavage. Loin de lui tenir rigueur de s’être accaparé de ce symbole sacré, le peuple nigérian était ravi de voir « un président au Shrine ».

Le gratin cultuel et artistique s’était réuni dans ce temple de la musique pour l’accueillir aux rythmes des tam-tams.

C’est que l’Afrique est rendue ailleurs. Elle ne fait plus dans les lamentatio­ns. Une nouvelle génération de leaders plus entreprene­uriale, plus confiante en ses potentiali­tés, plus ouverte sur le monde, plus détachée des récriminat­ions du passé arrive aux commandes.

Face à une Europe vieillissa­nte, à l’horizon 2050, l’Afrique comptera 2,5 milliards d’habitants, dont plus de la moitié aura moins de 25 ans. L’appropriat­ion culturelle est pour eux une fenêtre sur le monde. Ils savent que l’avenir leur appartient.

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