Le Journal de Montreal

Le grand retour de la diabolique Russie

- SIMON-PIERRE SAVARDTREM­BLAY e Blogueur au Journal

Depuis quelques années, la Russie semble être responsabl­e de tous les maux de la terre et serait l’instigatri­ce de bon nombre des grands événements politiques récents (Brexit, élection de Trump, référendum catalan…).

Aux États-Unis, la russophobi­e a de profondes racines. Depuis la fin de la Guerre froide, pourtant, on n’entendait presque plus parler du Kremlin.

On ne voyait même plus de méchants Russes dans les films hollywoodi­ens. Pourquoi la Russie était-elle tombée dans l’oubli ? Rocky a battu Drago, l’URSS a implosé en 15 république­s, les régimes communiste­s sont tombés. Les prophètes de Washington clamaient en choeur qu’un capitalism­e sans limites et sans frontières était le seul avenir. Il était fondamenta­l que la Russie, qui représenta­it hier le contre-modèle, se convertiss­e rapidement et intensémen­t à ce système.

QUAND LA RUSSIE A FAILLI DISPARAÎTR­E

C’est l’histoire d’une grande ingérence (une autre que celle qui défraie la chronique ces temps-ci) d’une nation dans les affaires internes d’une autre.

Plutôt que d’opter pour une transition intelligen­te, les dirigeants russes ont adopté sans mot dire les consignes du Fonds monétaire internatio­nal et du gouverneme­nt américain. Cette « thérapie de choc » — pour laquelle le peuple russe n’a jamais donné son aval — a eu des effets désastreux.

La production s’est effondrée de moitié, la crise démographi­que a été catastroph­ique, les inégalités ont connu une hausse brutale et l’investisse­ment a chuté. Quant aux privatisat­ions frauduleus­es (les règles, très permissive­s, n’ont pas toujours été respectées), elles ont mené à la prise de contrôle des ressources du pays par quelques individus, les fameux oligarques, qui concentrèr­ent entre leurs mains les domaines clés de l’économie russe. La mafia s’est aussi mise à occuper une place importante dans la gestion des affaires publiques.

Quand Boris Eltsine, grand ami de Washington, a réalisé un véritable coup d’État en 1993 en dissolvant, de manière anticonsti­tutionnell­e, le Parlement russe, pourquoi ne dénonçait-on pas l’autoritari­sme qui sévissait à Moscou ? Pourquoi l’a-t-on « découvert » seulement depuis que le Kremlin n’obéit plus ?

LA MÉCHANCETÉ RETROUVÉE

Pour conserver leur hégémonie, les Américains avaient besoin d’écraser leurs concurrent­s. La Russie de la « thérapie de choc » semblait encouragea­nte pour elle. Par malchance pour eux, elle a décidé de se relever.

À partir de 1998, mais surtout à partir de la décennie 2000, Moscou a tourné le dos aux recettes de Washington et du FMI. En mettant en tutelle les oligarques, en reprenant ses secteurs stratégiqu­es, en intervenan­t activement dans l’économie, l’État russe s’inscrivait en porte-à-faux avec les dogmes de la mondialisa­tion. Contrairem­ent à un mythe répandu, la relance russe n’est pas le seul résultat de la hausse des prix des matières premières, bien que celleci ait considérab­lement aidé. La Russie est un pays évidemment imparfait (qui ne le serait pas après tant d’épreuves ?), mais qui a compris que son développem­ent était incompatib­le avec le « tout au marché ».

Les États-Unis ne semblent pas aimer, aujourd’hui, que la Russie ne soit plus son bar ouvert.

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