Le Journal de Montreal

Victimes d’hier, victimes d’aujourd’hui

- JOSEPH FACAL joseph.facal@quebecorme­dia.com

Dans l’annulation des spectacles SLAV et Kanata, il y a une dimension qui me chicote énormément.

Les débats idéologiqu­es sont normaux et inévitable­s.

Une idéologie, c’est un ensemble d’idées qui structure une manière de regarder la société.

Être de droite, de gauche, fédéralist­e, souveraini­ste, écologiste, c’est adhérer à une idéologie.

Ce n’est ni bien ni mal en soi. Tout dépend comment on se comporte.

Ceux qui pensent ne pas avoir d’idéologie ne sont tout simplement pas conscients de la leur.

DISTORSION

Le regard idéologiqu­e est cependant sélectif. On insiste sur ce qui fait notre affaire.

Le reste est ignoré, nié, déformé, minimisé.

Le spectacle SLAV, qui évoquait les souffrance­s passées des esclaves au moyen de leurs chants, a déclenché les protestati­ons que l’on sait.

Trop de Blancs, pas assez de Noirs dans la distributi­on.

Mais qu’en est-il de l’esclavage maintenant ?

Celui d’aujourd’hui, pas celui d’hier. Le vrai, pas celui joué sur une scène.

Il n’y a pas une définition universell­ement acceptée de l’esclavage contempora­in, mais il désigne généraleme­nt les situations d’exploitati­on qu’une personne ne peut quitter en raison des menaces, de la violence et de la coercition.

Il englobe donc le trafic d’humains, le travail forcé des enfants, les mariages imposés, les camps de travail et l’asservisse­ment par endettemen­t.

Des dizaines de millions de personnes dans le monde, des femmes en grande majorité, vivent cet enfer.

Selon la Walk Free Foundation, les 10 pays au monde avec la plus forte proportion de leur population dans cette situation sont dans l’ordre : la Corée du Nord, l’Érythrée, le Burundi, la République centrafric­aine, l’Afghanista­n, la Mauritanie, le Sud-Soudan, le Pakistan, le Cambodge et l’Iran.

Sentez-vous une puissante mobilisati­on pour secourir ces esclaves modernes ? Non.

Ils sont loin des caméras, alors c’est comme s’ils n’existaient pas.

Il est plus facile de s’en prendre à un artiste d’ici qu’aux gouverneme­nts de ces pays.

Pour un idéologue qui veut faire parler de lui, c’est nettement moins forçant et dangereux.

IGNORÉS

Un autre spectacle annulé, Kanata, traitait de l’expérience des Premières Nations.

Très fâchés, certains Autochtone­s auraient voulu être associés à la démarche afin de la contrôler.

Pendant ce temps, surtout dans les réserves fédérales et dans les régions éloignées, les population­s autochtone­s vivent d’immenses problèmes de pauvreté, de sous-scolarisat­ion, d’alcoolisme, de toxicomani­e, de violence conjugale, de suicide, de logement, d’accès à l’eau potable, etc.

Sentez-vous une puissante mobilisati­on pour leur venir en aide ? Pas moi.

Je ne peux m’empêcher de me demander quelle importance ces idéologues de l’« appropriat­ion culturelle » accordent aux Autochtone­s et aux esclaves d’aujourd’hui. Loin des yeux, loin du coeur, dit-on. Les pires scandales sont ceux dont on ne parle pas.

Sentez-vous une puissante mobilisati­on pour leur venir en aide ? Non.

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