Le Journal de Montreal

« LA RELIGION VOLÉ A MA JEUNESSE »

Une ex-soeur défend maintenant la laïcité

- DAVID RIENDEAU

Andréa Richard est entrée chez les religieuse­s à 16 ans dans l’espoir d’aider les pauvres. L’Église catholique l’a plutôt transformé­e en fille obéissante et ignorante. Après vingt ans de désillusio­ns, elle a quitté le voile pour se réappropri­er sa vie. Aujourd’hui, celle qui se faisait appeler soeur Xavier-Marie-de-la-Trinité est devenue une ardente défenseure de la laïcité.

« Quand on confronte les religions aux faits historique­s, on comprend que ce sont des constructi­ons mensongère­s. On n’a pas besoin de mensonges pour être heureux ! Le sens de la vie est dans la vie elle-même », tonne l’énergique dame de 84 ans.

Autrefois, Andréa Richard aurait tenu un discours bien différent. Née en 1934 au Nouveau-Brunswick, elle a grandi à une époque où le clergé catholique exerçait une grande autorité morale sur les Acadiens. Enfant, elle accompagna­it sa mère pour porter des fruits aux pauvres chaque dimanche. « J’aspirais à devenir une sainte. » Remarquant son penchant naturel pour l’entraide, une religieuse et un prêtre l’ont recrutée dans les ordres religieux, malgré les réticences de son père.

UNE VIE RIGIDE

À 16 ans, Mme Richard a commencé son postulat à l’asile des vieillards des Petites Soeurs des pauvres à Montréal. On lui a immédiatem­ent fait porter une longue robe noire et un bonnet qui cachait ses cheveux. Pendant six mois, elle s’est occupée des personnes âgées, la plupart souffrant d’un handicap physique ou mental. Elle leur donnait leurs repas, nettoyait leurs pots de chambre et effectuait le ménage de l’infirmerie.

Andréa Richard a poursuivi sa formation pendant trois ans en Montérégie. Au cours d’une cérémonie solennelle, elle a reçu son nouveau nom : soeur Xavier-Marie-de-la-Trinité. « J’avais l’impression de perdre mon identité. » Le quotidien des novices était étroitemen­t surveillé par les supérieure­s hiérarchiq­ues, tandis qu’une foule d’interdicti­ons pesaient sur elle : courir, laisser dépasser une mèche de cheveux, se regarder dans un miroir ou s’entretenir en privé avec une autre novice. Quant au courrier qu’elle recevait, il était scrupuleus­ement ouvert et souvent censuré.

Chaque semaine, les novices se mettaient à genou devant la mère supérieure en s’accusant des fautes réelles ou supposées qu’elles avaient commises. De plus, elles se soumettaie­nt à « la discipline » : pénitence qui consistait à se fouetter les fesses.

DES ANNÉES ÉPROUVANTE­S

Son noviciat accompli, soeur Xavier a prononcé ses voeux de chasteté, d’obéissance et de pauvreté pour entrer officielle­ment chez les Petites Soeurs des pauvres en 1955. Son ordre l’a envoyé dans un couvent à Paris, en France.

Elle avait pour tâche d’accompagne­r la religieuse responsabl­e de la quête. Chaque matin, elles parcouraie­nt en chariot la Ville lumière pour quémander aux marchands des fruits et des légumes. Puis, elles se rendaient dans les collèges cossus récupérer les restants du midi, destinés à préparer le souper des démunis.

Malgré la rigidité de son quotidien, soeur Xavier ne remettait pas en cause sa foi. « J’aimais ce monde illusoire où l’on se perdait. On s’entretenai­t avec l’idée qu’on était les épouses du Seigneur et qu’on aidait les pauvres. »

Un drame vint toutefois ébranler ses conviction­s, cinq ans plus tard. « Soeur Adrienne, dont j’étais proche, était secrètemen­t amoureuse du prêtre qui venait nous confesser. Quand la mère supérieure a eu vent de la relation, elle l’a menacée de l’envoyer dans un autre pays. » Totalement bouleversé­e, Adrienne s’est enlevé la vie quelques jours plus tard devant Andréa.

La mère supérieure lui a interdit d’en parler.

Le doute a germé dans son esprit. Si la religion enseignait l’amour et l’entraide, pourquoi tant d’opacité ? Les mois passaient et tout la ramenait à cet horrible souvenir. Soeur Xavier a pensé qu’une vie plus contemplat­ive et axée sur la prière l’aiderait à retrouver sa paix d’esprit. Elle a demandé son transfert dans un autre ordre religieux.

CHEZ LES CARMÉLITES

En 1963, soeur Xavier est entrée au couvent de Notre-Dame-du-Carmel, à Rouen. Coupée du monde extérieur, elle consacrait ses journées à la prière et à l’étude de textes religieux. Du reste, elle dormait sur une paillasse, se lavait à l’eau froide, pratiquait le jeûne et se fouettait deux fois par semaine. Lorsque sa famille venait la visiter, c’était derrière la fenêtre grillagée du cloître.

Ce train de vie austère a eu raison de sa santé. Quatre ans plus tard, elle a gravement souffert d’une tuberculos­e qui l’a menée à l’hôpital. Sa famille est alors intervenue pour la faire rapatrier. Pendant sa convalesce­nce au sanatorium, elle a commencé à lire des ouvrages sur l’histoire des religions, interdits au couvent. « Je me rendais compte que je n’étais pas heureuse et que ma vie n’était faite que d’illusions. »

Remise sur pied, elle est retournée en communauté, cette fois-ci à Dolbeau. Chaque nouveau jour renforçait un peu plus sa révolte face aux règles « absurdes » de l’Église. « Un jour, j’ai confié à l’aumônier mon intention de quitter la vie religieuse. Il m’a répondu que je n’avais pas à être traitée comme une petite fille obéissante. Il a intercédé auprès de l’évêque pour que je puisse sortir des ordres. » En 1974, soeur Xavier redevenait Andréa. Elle avait alors 40 ans.

RETOUR À LA VIE LAÏQUE

La femme saisissait l’ampleur de ce qu’elle avait sacrifié. « Pendant que je lavais des vieillards, ma soeur et mon frère sont allés à l’université et ont profité de la vie. Je n’avais que ma onzième année et j’en étais complexée. En ce sens, la religion a volé ma jeunesse. »

Malgré tout, sa foi n’en était pas moins intacte. Elle a fondé une associatio­n laïque prônant une vision « positive » de la spirituali­té. Les conférence­s qu’elle donnait lui ont permis de subvenir à ses besoins pendant plusieurs années.

Sa vie a pris un nouveau tournant en 1985 lorsqu’un évêque est venu assister à l’une de ses conférence­s pour s’assurer qu’elle respectait la doctrine de l’Église. « Nous sommes vite devenus amis, puis amoureux. » Or, il s’agissait d’un amour interdit, les prêtres catholique­s n’ayant pas le droit de se marier. Le couple avait projeté d’émigrer aux États-Unis pour devenir protestant et vivre ensemble. « Malheureus­ement, il est tombé gravement malade d’un cancer et il est décédé. »

Ce drame a porté un dur coup à ses conviction­s religieuse­s. Dans les mois et les années qui ont suivi, sa foi s’est estompée peu à peu.

« JE ME RENDAIS COMPTE QUE JE N’ÉTAIS PAS HEUREUSE ET QUE MA VIE N’ÉTAIT FAITE QUE D’ILLUSIONS. »

« Je ne croyais plus en un dieu et je ne voyais plus aucune raison d’être membre d’une église qui cherchait à conditionn­er ma façon de vivre ou de penser. J’ai demandé à ce qu’on retire mon nom de la liste des catholique­s. J’étais enfin libre! », raconte celle qui se décrit comme agnostique.

LIBÉRÉE

En 1995, Andréa a publié Femme après le cloître, un récit autobiogra­phique qui raconte son parcours et dévoile sa liaison interdite. La même année, elle a fait la rencontre de Gilles Vallée, avec qui elle s’est mariée trois ans plus tard. « C’est un homme très cultivé qui m’a beaucoup aidée dans mon cheminemen­t. Et tout comme moi, il n’est pas croyant. »

Andréa Richard n’a pas eu d’enfants, ce qu’elle regrette.

Depuis, celle qui vit aujourd’hui à Trois-Rivières s’est engagée pour la séparation de la religion et de l’État, en plus de militer activement pour que les religions soient enseignées à l’école dans une perspectiv­e historique. « Ma grande déception en fin de vie est de voir un retour en force du discours religieux dans la société. Il faut garder l’esprit critique et avoir le courage de dénoncer. Les religions sont construite­s sur des mensonges. Pourtant, c’est la vérité qui rend libre. »

Ceci étant dit, la dame ne regrette pas le bien qu’elle a pu apporter en aidant les pauvres. « Je n’en veux pas non plus aux religieuse­s et aux prêtres que j’ai côtoyés, car ils ont tout donné pour une cause qu’ils croyaient juste », nuance-t-elle.

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PHOTO COURTOISIE PHOTO BEN PELOSSE Photo prise au courant des années 1950, alors qu’Andréa Richard était chez les Petites Soeurs des pauvres. Aujourd’hui âgée de 84 ans, Andréa Richard se dit agnostique.
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PHOTOS COURTOISIE Chez les Carmélites, au courant des années 1970.

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