Le ras-le-bol des médias américains
Donald Trump se rejouira sans doute que plus de 200 journaux et autres organes de presse à travers les États-Unis consacrent leurs éditoriaux à défendre la liberté de presse et à condamner les attaques contre tous les médias qui ne lui sont pas inféodés (lire texte ci-contre).
Cette initiative signale le ras-lebol du milieu de l’information devant un président qui méprise ouvertement la liberté de la presse. C’est aussi un avertissement que ce mépris est dangereux pour la démocratie.
Pourquoi en est-il ainsi et où peut mener cette nouvelle escalade ?
LA PAROLE DU PEUPLE
Donald Trump n’est pas la cause de la polarisation politique et des transformations de l’environnement médiatique aux ÉtatsUnis ; il en est le produit.
Ex-vedette de téléréalité, Trump sait comment exploiter les médias pour ses fins politiques. C’est entre autres la fusion entre divertissement et information et l’émergence des réseaux sociaux qui lui ont permis de s’approprier l’électorat républicain.
Trump carbure au populisme, une vision politique qui associe la parole du leader à la volonté du « peuple vrai ». Toute voix discordante ou toute contestation de son autorité est donc, par définition, contraire à l’intérêt réel de ce « peuple vrai ».
Qui sont ces « vrais » Américains ? La base partisane de Trump, évidemment. Ceux qui s’opposent à Trump ou mettent en doute sa parole, y compris les médias, sont des ennemis.
Cette vision politique est contraire à la vision pluraliste des pères fondateurs inscrite dans la Constitution, qui était jusqu’à l’arrivée Trump un principe incontesté en politique américaine.
L’IMPOSSIBLE IMPARTIALITÉ
Dans une société libérale pluraliste, une presse libre est essentielle et les médias peuvent agir en arbitres impartiaux des débats politiques, dans la mesure où le pluralisme et les faits objectifs sont reconnus par tous.
Que se passe-t-il quand un acteur politique majeur bafoue ces principes fondamentaux, comme Trump le fait quotidiennement ? Que faire quand le reportage objectif des faits par une presse libre devient un acte de résistance au populisme trumpien ?
Dans une telle situation, les médias d’information—comme les politologues—conservent leur devoir de rigueur et d’objectivité. Lorsque les règles et les valeurs fondamentales d’une société sont enfreintes, l’impartialité devient intenable.
Quand certains acteurs politiques bafouent des valeurs fondamentales, l’objectivité et la rigueur n’excluent pas la prise de position à leur endroit, elles l’exigent.
LES DANGERS D’UNE GUERRE OUVERTE
Les médias devraient-ils pour autant déclarer ouvertement la guerre à Donald Trump ? Ça, c’est moins sûr.
En fait, une stratégie de confrontation risque de jouer son jeu. Trump interprétera l’initiative d’aujourd’hui comme une preuve de plus du « complot » des médias de « l’establishment » contre le « peuple vrai » qu’il prétend représenter. Il en fera ses choux gras.
Si les valeurs pluralistes et libérales qui sous-tendent la politique américaine depuis plus de deux siècles ne sont pas mortes, elles devraient finir par prévaloir. Un coup d’éclat d’un jour ne changera pas grand-chose si l’esprit n’en est pas préservé à chaque jour.