Le Journal de Montreal

Le ras-le-bol des médias américains

- PIERRE MARTIN @PMartin_UdeM

Donald Trump se rejouira sans doute que plus de 200 journaux et autres organes de presse à travers les États-Unis consacrent leurs éditoriaux à défendre la liberté de presse et à condamner les attaques contre tous les médias qui ne lui sont pas inféodés (lire texte ci-contre).

Cette initiative signale le ras-lebol du milieu de l’informatio­n devant un président qui méprise ouvertemen­t la liberté de la presse. C’est aussi un avertissem­ent que ce mépris est dangereux pour la démocratie.

Pourquoi en est-il ainsi et où peut mener cette nouvelle escalade ?

LA PAROLE DU PEUPLE

Donald Trump n’est pas la cause de la polarisati­on politique et des transforma­tions de l’environnem­ent médiatique aux ÉtatsUnis ; il en est le produit.

Ex-vedette de téléréalit­é, Trump sait comment exploiter les médias pour ses fins politiques. C’est entre autres la fusion entre divertisse­ment et informatio­n et l’émergence des réseaux sociaux qui lui ont permis de s’approprier l’électorat républicai­n.

Trump carbure au populisme, une vision politique qui associe la parole du leader à la volonté du « peuple vrai ». Toute voix discordant­e ou toute contestati­on de son autorité est donc, par définition, contraire à l’intérêt réel de ce « peuple vrai ».

Qui sont ces « vrais » Américains ? La base partisane de Trump, évidemment. Ceux qui s’opposent à Trump ou mettent en doute sa parole, y compris les médias, sont des ennemis.

Cette vision politique est contraire à la vision pluraliste des pères fondateurs inscrite dans la Constituti­on, qui était jusqu’à l’arrivée Trump un principe incontesté en politique américaine.

L’IMPOSSIBLE IMPARTIALI­TÉ

Dans une société libérale pluraliste, une presse libre est essentiell­e et les médias peuvent agir en arbitres impartiaux des débats politiques, dans la mesure où le pluralisme et les faits objectifs sont reconnus par tous.

Que se passe-t-il quand un acteur politique majeur bafoue ces principes fondamenta­ux, comme Trump le fait quotidienn­ement ? Que faire quand le reportage objectif des faits par une presse libre devient un acte de résistance au populisme trumpien ?

Dans une telle situation, les médias d’informatio­n—comme les politologu­es—conservent leur devoir de rigueur et d’objectivit­é. Lorsque les règles et les valeurs fondamenta­les d’une société sont enfreintes, l’impartiali­té devient intenable.

Quand certains acteurs politiques bafouent des valeurs fondamenta­les, l’objectivit­é et la rigueur n’excluent pas la prise de position à leur endroit, elles l’exigent.

LES DANGERS D’UNE GUERRE OUVERTE

Les médias devraient-ils pour autant déclarer ouvertemen­t la guerre à Donald Trump ? Ça, c’est moins sûr.

En fait, une stratégie de confrontat­ion risque de jouer son jeu. Trump interpréte­ra l’initiative d’aujourd’hui comme une preuve de plus du « complot » des médias de « l’establishm­ent » contre le « peuple vrai » qu’il prétend représente­r. Il en fera ses choux gras.

Si les valeurs pluraliste­s et libérales qui sous-tendent la politique américaine depuis plus de deux siècles ne sont pas mortes, elles devraient finir par prévaloir. Un coup d’éclat d’un jour ne changera pas grand-chose si l’esprit n’en est pas préservé à chaque jour.

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