La guerre aux statues
John A. Macdonald fait de nouveau parler de lui. Victoria, la capitale de la Colombie-Britannique, a décidé de déboulonner sa statue.
Dans un Canada qui, au nom de sa réconciliation avec les Amérindiens, entend de plus en plus réécrire son histoire à partir de leur point de vue, Macdonald ne passe plus d’abord pour le plus important des pères de la Confédération et le 1er premier ministre du pays, mais pour le père des pensionnats autochtones. Il faudrait dès lors effacer les traces de sa mémoire du paysage urbain, d’un océan à l’autre.
HONNEUR
Il ne serait plus digne d’être honoré. Ce déboulonnage n’a rien d’anecdotique et témoigne à la fois de l’esprit pénitentiel qui domine aujourd’hui le monde occidental et de ce qu’on pourrait appeler notre vilaine tentation anachronique.
Par esprit pénitentiel, j’entends cette manie de réécrire l’histoire en se concentrant seulement sur les pages noires, au point où elles prennent toute la place dans la mémoire collective. Pour reprendre la formule de l’historien Michel de Jaeghere, notre époque semble animée par la « haine des pères ».
Nous nous tournons vers le passé et nous reprochons du haut de notre majesté morale à nos devanciers de ne pas avoir vu le monde avec les mêmes valeurs que nous. C’est le vilain péché d’anachronisme.
Quand ils se conjuguent, l’esprit pénitentiel et le péché d’anachronisme poussent à vouloir faire table rase. On se comporte alors comme un destructeur barbare qui renverse tout ce qui rappelle le monde d’hier.
Il ne devrait pourtant pas être si compliqué de se rappeler qu’il faut penser les hommes dans leur époque pour les comprendre, et que même les plus grands dirigeants ne sont pas des saints. Honorer un homme, cela ne veut pas dire qu’il était parfait, mais qu’il laisse un héritage significatif. Cet héritage n’est pas sans taches. Washington, Jefferson, Churchill, de Gaulle : aucun d’entre eux n’avait un bilan immaculé. Chacun d’eux s’est même montré cruel à un moment ou à un autre de sa vie politique. Chacun d’eux portait les préjugés de son époque.
Mais il serait bête et méchant de les congédier de la mémoire et de toujours commencer à zéro, comme si l’homme se libérait ainsi du poids du passé.
COURAGE
Faut-il ajouter que les Amérindiens n’étaient pas non plus sans taches et que s’il faut se souvenir seulement des hommes parfaits, eux aussi perdront leur droit aux honneurs ?
Il est normal de vouloir tendre la main aux Amérindiens. Notre époque l’exige.
Il ne l’est pas de répéter sans cesse le bobard idéologique qui veut que nous soyons ici sur une terre non cédée, comme si les peuples fondateurs du Canada étaient des intrus chez eux. Il l’est encore moins de faire tomber les statues du fondateur du Canada.
Il faudrait un peu de courage aux hommes politiques pour résister à l’intimidation morale qui est devenue la norme médiatique dès qu’on parle de ce sujet.