Le Journal de Montreal

LOUISE DESCHÂTELE­TS

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Si la vie était plus simple !

J’ai 90 ans et ½ et je me suis mariée en 1945 juste après la guerre. Pour fuir la misère avec mon mari, on est allé vivre au Maroc où il était né. Au début, on profitait un peu de la vie et on allait souvent au bord de la mer. Même si on n’était pas riche, on mangeait à notre faim. Je suis tombée enceinte et mon fils est né en 1947. La grossesse me rendant malade, un matin, j’ai refusé de préparer le café et mon mari m’a battue pour la première fois. Ça ne s’est plus arrêté ensuite. Loin des miens avec personne pour m’aider, je suis allée porter plainte à la police. La réponse : « Si votre mari vous bat, c’est que vous le méritez. »

Il m’a donc fallu accepter cette violence occasionne­lle. En 1948, je suis allée revoir mes parents en France. Quand j’ai vu ma mère couchée dans son lit, je l’ai crue fainéante, car c’est mon père qui se démenait pour tout faire dans la maison. J’aurais alors dû m’inquiéter pour sa santé, mais ça ne se faisait pas à l’époque.

Elle est morte de sa maladie sans que je ne la revoie. Quand l’Afrique du Nord a obtenu son indépendan­ce, nous avons tout perdu, nous les Français qui y vivions. Nous sommes rentrés en France avec mon fils pour aboutir chez ma soeur et nous faire dire par les Français de retourner chez nous.

On a fait une demande d’asile et on a abouti au Canada sans un sou en poche. Mon fils a trouvé du travail, mon mari est redevenu mécanicien, et moi j’ai fait des ménages. Puis mon père est mort sans que je ne le revoie. Je n’arrête pas de me dire aujourd’hui que j’aurais donc dû dire à mes parents que je souffrais dans mon mariage au lieu d’endurer dans le silence.

J’aurais également dû m’inquiéter pour eux. Je suis capable d’écrire ma misère, mais je n’ai jamais été capable d’en parler de vive voix. Je suis désormais veuve, pauvre et seule. Encore plus depuis que mon petit-fils s’est suicidé à 18 ans. Même si j’ai de quoi manger trois fois par jour, que plus personne ne me frappe, je suis pleine de bleus au coeur, mais je suis trop lâche pour me suicider.

Ma vie est un long fleuve triste, dont je n’ai jamais été capable de parler. C’est le silence sur la souffrance. Heureuseme­nt que l’organisme Les Petits Frères des pauvres me procure certains petits plaisirs. Ça m’aide à marcher vers ma mort d’un pas plus serein. Merci de l’écoute ! Mado

Ma chère Mado, cessez de vous en vouloir pour un passé qui ne se refait plus. Surtout que dans la culture d’autrefois, en Europe comme en Amérique, une grande pudeur retenait les gens, même en famille, de se faire des confidence­s. Tâchez de profiter au mieux des petits plaisirs que la vie vous offre en vous disant qu’il n’y a aucune lâcheté, bien au contraire, dans le fait de vivre sa vie jusqu’à son terme.

Une vie de couple suppose du temps partagé à deux

Je fus étonnée de voir qu’à ce monsieur de 40 ans qui s’interrogea­it sur ses nombreux échecs de couple, vous ayez laissé supposer que seul son choix de compagne était mauvais. Quand on travaille trois soirs par semaine et toutes les fins de semaine comme lui, ne pensez-vous pas que ça puisse faire fuir les femmes qui veulent une vraie vie de couple? Quand on rame toute seule dans un bateau, on ne peut pas blâmer une femme de s’en aller. Une lectrice attentive

J’avais effectivem­ent omis le point que vous soulevez dans ma réponse. Peut-être que je suis trop habituée à travailler avec des horaires atypiques. Comme ce ne fut jamais un obstacle à mes vies à deux, je pensais qu’il en était de même pour tout le monde.

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