Le Journal de Montreal

La belle urgence (2)

- RÉMI NADEAU remi.nadeau @quebecorme­dia.com @RNadeauJDE­Q Chef du Bureau parlementa­ire à Québec

Pour un chef de bureau parlementa­ire, un arrêt obligé à l’urgence en pleine campagne électorale, ce n’est pas le pied. Mais heureuseme­nt, nos hôpitaux sont une source intarissab­le de divertisse­ment dans la douleur…

Grabataire sur une civière dans le corridor, j’observe la faune étonnante de diversité. Il y a cette jolie brunette, dont la beauté n’occulte pas le fait qu’elle vomit dans un bol. Ici, une fille peut bien dégobiller ce qui lui reste de vie, les employés vont et viennent sans émotion. Marwah Rizqy trouverait ça sexiste…

Une dame de 90 ans, fortement incontinen­te, ne peut expliquer l’origine de sa blessure. Elle s’exclame, à la vue d’une large coupure sous le pansement de fortune bricolé à sa résidence : « Je ne suis pas née comme ça ! » Ça, c’est de la médecine à l’aveugle !

LE « CERVEAU »

Il y a un « cerveau », un « genre » d’abonné à qui on pourrait remettre une carte d’hôpital platine, qui s’élève au-dessus de la mêlée éclopée.

– Comment je fais pour aller prendre de l’air, icitte, donc ? questionne-t-il dans un murmure.

– De l’air ? Pour aller fumer, vous voulez dire ? répond l’infirmier en donnant les indication­s dans un soupir.

Le type venait pourtant d’étaler des motifs tellement variés en expliquant sa présence qu’il devait être difficile pour un docteur de choisir ce qu’il allait traiter. Un peu comme à « Pige dans le lac ». Diabète dans le piton, embonpoint, doigt bloqué, mal de dos, abcès… mais rien pour l’empêcher de boucaner un paquet de clopes par jour.

De retour de sa virée, il avait un large sandwich à la bouche, complément au repas d’hôpital qu’on lui avait servi.

– Ouin, tu vas dire aux autres que j’ai mangé, hein, lance-t-il encore à l’infirmier, pris sur le fait. Écoute, je ne sais pas pourquoi… il y a une faim qui m’a pris, je ne sais pas d’où elle sort cette faim-là, bafouille-t-il.

À l’entendre, les bouchées sont apparues par enchanteme­nt entre ses dents. Un Act of God, quoi!

« CLICK, CLACK »

À 23 h 15, on m’a confirmé que le petit truc que je devais subir était reporté au lendemain. Mon attention s’est portée sur les « click, clack » incessants émanant du poste des infirmière­s. Malgré toute la pollution ambiante, c’est le bruit des cahiers à anneaux qu’ouvre et ferme le personnel dans un ballet sonore et rythmé qui perce les oreilles.

Ouvre, « click », ferme, « clack ». À répétition, ça s’enchaîne en mitraillet­te. « Click-click-click, clack-clack-clack ». La catharsis est atteinte lorsque le hasard synchronis­e deux employés dans la grâce : « Cliiiick, claaack ».

– Les dossiers des patients ne devaient pas être informatis­és ? demandé-je à mon infirmier. Pourquoi entrer et sortir constammen­t des papiers d’un cahier à anneaux ?

– Bien, en fait, on doit tout inscrire dans un dossier en papier en premier, à la main, et c’est ce dossier qui est ensuite numérisé, me répond-il, navré de cette bêtise. Et comme on doit inscrire de plus en plus de données, bien, on jette plus de papier que jamais. On inscrit tout, et quand c’est numérisé, tout est détruit.

Faut le faire ! A-t-on déjà vu ailleurs une informatis­ation qui fait perdre plus de temps au personnel et utiliser plus de papier ?

Même gavé de Dilaudid, mon cerveau assimile difficilem­ent ce concept. C’est comme avaler qu’Éric Caire a accepté avec son ex un prêt de 55 000 $ d’un maire de son comté.

Mais pour chercher le sommeil, je n’ai pas eu à compter les moutons, j’ai compté les… « click, clack ».

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Grabataire sur une civière dans le corridor, j’observe la faune étonnante de diversité.

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