QS ou l’art de mal pelleter des nuages
Québec solidaire, « ce parti de pelleteux de nuages », entend-on souvent.
Les co-porte-parole Manon Massé et Gabriel Nadeau-Dubois ne devraient pas considérer l’expression comme une insulte. Car ces gens qu’on appelle ainsi sont « capables, en effet, de dégager l’horizon », selon l’habile formule du romancier Maurice Dantec.
Notre débat public a besoin de rêves et de rêveurs. Un réalisme étriqué, trop souvent, ennuage nos perspectives.
Les exemples de grands rêveurs dans notre passé abondent.
Pensons à Lise Payette et au Parti québécois de René Lévesque ; notamment la création d’une chose aussi prosaïque que l’assurance-automobile.
Voyons aussi à quel point le rêve d’une législation linguistique comme la loi 101 a transformé le Québec, a permis au français d’au moins aspirer à devenir une langue commune.
Pensons à Robert Bourassa et aux grands barrages du Nord ; à la mise en place, par son gouvernement, de l’assurance maladie.
Pensons aux Bouchard (Lucien… Camil !) et les CPE. Et combien d’autres rêves déterminants. On pourrait remonter très loin.
AMBITION ET UTOPIE
J’ai assisté jeudi à la présentation par QS du Grand Montréal Express (GME) dans la circonscription de Rosemont.
(En passant, voilà une appellation très peu française dans sa logique. Un peu comme la mode des « fest », « Grand Montréal comédie fest »... Le GME est sans doute conforme à l’idée de Manon Massé selon laquelle l’anglais est une des deux langues officielles du Québec…)
L’ambition des qsistes en transport est attrayante, fascinante.
Se donner comme projet d’avoir une vraie métropole avec 38 nouvelles stations de métro d’ici 2030 paraîtra excessif à plusieurs.
Mais des villes plus petites que Montréal, dans le monde, sont irriguées de nombreuses lignes d’où germent d’innombrables bouches de trains souterrains.
L’ambition, toutefois, poussée au-delà d’un certain seuil, peut se muer en utopie. J’entends le mot au sens littéral ici, soit « un lieu qui n’existe pas ». Bref une belle illusion. Un mirage.
Jeudi, j’ai eu l’impression que QS, en matière de transport, a allègrement franchi ce seuil et basculé dans l’utopie.
Non pas tant pour l’intéressante projection en avant, vers 2030. Surtout en raison d’un invraisemblable flottement quant aux coûts.
NATIONALISER
Dans le document remis aux journalistes, QS annonçait vouloir rapatrier le Réseau express métropolitain (REM), le projet de train électrique de la Caisse de dépôt et placement (CDPQ), « sous l’égide publique ».
Bref, QS compte sortir la CDPQ de cet énorme projet qu’elle a pourtant conçu, développé et même commencé à réaliser.
« On ne voudrait jamais [...] qu’à n’importe quel moment la Caisse [...] puisse dire : “Nous, on considère que ça ne fait pas assez de profits et, finalement, on le vend à des intérêts étrangers” », a expliqué Mme Massé.
Les journalistes, dont moi, ont voulu savoir ce que cette nationalisation du REM (appelons les choses par leur nom) impliquerait et ce qu’elle allait exiger du Trésor public.
Un malaise a alors saisi les gens debout derrière le lutrin : « On l’a déjà chiffré. Mais je n’ai pas le chiffre maintenant », a candidement répondu la candidate dans Mercier, Ruba Ghazal.
« Écoutez, dans le détail, là… euh, je regarde pour voir si notre spécialiste est là… », a enchaîné Manon Massé en cherchant dans le personnel de QS présent. Personne n’avait la réponse.
En fin de matinée, QS disait au Devoir que le coût serait de 6 milliards. De manière très approximative, Manon Massé avait d’ailleurs déclaré : « Le gouvernement du Québec a déjà mis... je crois que c’est autour de 6 milliards dans ce projet-là. » (En fait, Québec y investit 1,28 milliard $. Comme le fédéral d’ailleurs.)
Dans l’après-midi, QS précisait à La Presse qu’un gouvernement qsiste rachèterait la part de la Caisse 2,95 milliards, et maintiendrait l’investissement déjà annoncé par Québec. Pour un total de 4,23 milliards $. Hier, un employé de QS m’écrivait que le rachat serait de 3 milliards $. Enfin...
POURQUOI CHIFFRER ?
Cette incroyable jonglerie des milliards me rappelle un débat autour des « chiffres » qui a déchiré QS en 2007, soit peu après sa fondation.
À la suite d’un des premiers congrès, en conférence de presse, Françoise David s’était montrée imprécise quant au coût de certaines mesures phares de QS, dont Pharma-Québec.
Des dirigeants de QS avaient dans les semaines suivantes fait leur meaculpa et promis de se donner « les moyens, “au plus sacrant” de fournir des chiffres “blindés” ».
Un des membres fondateurs de QS, le philosophe Pierre Mouterde, n’était pas convaincu. Jusqu’à un certain point, « chiffrer » les propositions pouvait représenter un piège, faisait-il valoir. QS devait à son sens s’affranchir « de cette logique de comptabilité » qui « enferme, qui réduit le champ des possibles ».
D’autres membres, comme le regretté philosophe Bernard Larivière, répliquèrent : « Combien coûterait le salaire citoyen ? Combien d’impôt devraient payer les entreprises et les riches ? Vous ne voulez pas le savoir ? Moi, oui ! »
Je n’irais pas aussi loin que l’ex-chroniqueur et maintenant candidat dans Rosemont, Vincent Marissal, qui écrivait dans La Presse du 22 novembre 2008 : « Le problème, comme toujours, avec QS, c’est que son programme politique est construit sur les fondations instables de la pensée magique. »
Il reste qu’entre « réalisme étriqué » et utopie, il y a une marge.
Quand on est confus comme le fut QS jeudi à propos de montants aussi importants que ceux qu’implique le REM, on n’est plus un « pelleteux de nuages » au sens de Dantec.
On embrouille l’horizon ; avec du rose bonbon.