Le Journal de Montreal

QS ou l’art de mal pelleter des nuages

- c antoine.robitaille@quebecorme­dia.com

Québec solidaire, « ce parti de pelleteux de nuages », entend-on souvent.

Les co-porte-parole Manon Massé et Gabriel Nadeau-Dubois ne devraient pas considérer l’expression comme une insulte. Car ces gens qu’on appelle ainsi sont « capables, en effet, de dégager l’horizon », selon l’habile formule du romancier Maurice Dantec.

Notre débat public a besoin de rêves et de rêveurs. Un réalisme étriqué, trop souvent, ennuage nos perspectiv­es.

Les exemples de grands rêveurs dans notre passé abondent.

Pensons à Lise Payette et au Parti québécois de René Lévesque ; notamment la création d’une chose aussi prosaïque que l’assurance-automobile.

Voyons aussi à quel point le rêve d’une législatio­n linguistiq­ue comme la loi 101 a transformé le Québec, a permis au français d’au moins aspirer à devenir une langue commune.

Pensons à Robert Bourassa et aux grands barrages du Nord ; à la mise en place, par son gouverneme­nt, de l’assurance maladie.

Pensons aux Bouchard (Lucien… Camil !) et les CPE. Et combien d’autres rêves déterminan­ts. On pourrait remonter très loin.

AMBITION ET UTOPIE

J’ai assisté jeudi à la présentati­on par QS du Grand Montréal Express (GME) dans la circonscri­ption de Rosemont.

(En passant, voilà une appellatio­n très peu française dans sa logique. Un peu comme la mode des « fest », « Grand Montréal comédie fest »... Le GME est sans doute conforme à l’idée de Manon Massé selon laquelle l’anglais est une des deux langues officielle­s du Québec…)

L’ambition des qsistes en transport est attrayante, fascinante.

Se donner comme projet d’avoir une vraie métropole avec 38 nouvelles stations de métro d’ici 2030 paraîtra excessif à plusieurs.

Mais des villes plus petites que Montréal, dans le monde, sont irriguées de nombreuses lignes d’où germent d’innombrabl­es bouches de trains souterrain­s.

L’ambition, toutefois, poussée au-delà d’un certain seuil, peut se muer en utopie. J’entends le mot au sens littéral ici, soit « un lieu qui n’existe pas ». Bref une belle illusion. Un mirage.

Jeudi, j’ai eu l’impression que QS, en matière de transport, a allègremen­t franchi ce seuil et basculé dans l’utopie.

Non pas tant pour l’intéressan­te projection en avant, vers 2030. Surtout en raison d’un invraisemb­lable flottement quant aux coûts.

NATIONALIS­ER

Dans le document remis aux journalist­es, QS annonçait vouloir rapatrier le Réseau express métropolit­ain (REM), le projet de train électrique de la Caisse de dépôt et placement (CDPQ), « sous l’égide publique ».

Bref, QS compte sortir la CDPQ de cet énorme projet qu’elle a pourtant conçu, développé et même commencé à réaliser.

« On ne voudrait jamais [...] qu’à n’importe quel moment la Caisse [...] puisse dire : “Nous, on considère que ça ne fait pas assez de profits et, finalement, on le vend à des intérêts étrangers” », a expliqué Mme Massé.

Les journalist­es, dont moi, ont voulu savoir ce que cette nationalis­ation du REM (appelons les choses par leur nom) impliquera­it et ce qu’elle allait exiger du Trésor public.

Un malaise a alors saisi les gens debout derrière le lutrin : « On l’a déjà chiffré. Mais je n’ai pas le chiffre maintenant », a candidemen­t répondu la candidate dans Mercier, Ruba Ghazal.

« Écoutez, dans le détail, là… euh, je regarde pour voir si notre spécialist­e est là… », a enchaîné Manon Massé en cherchant dans le personnel de QS présent. Personne n’avait la réponse.

En fin de matinée, QS disait au Devoir que le coût serait de 6 milliards. De manière très approximat­ive, Manon Massé avait d’ailleurs déclaré : « Le gouverneme­nt du Québec a déjà mis... je crois que c’est autour de 6 milliards dans ce projet-là. » (En fait, Québec y investit 1,28 milliard $. Comme le fédéral d’ailleurs.)

Dans l’après-midi, QS précisait à La Presse qu’un gouverneme­nt qsiste rachèterai­t la part de la Caisse 2,95 milliards, et maintiendr­ait l’investisse­ment déjà annoncé par Québec. Pour un total de 4,23 milliards $. Hier, un employé de QS m’écrivait que le rachat serait de 3 milliards $. Enfin...

POURQUOI CHIFFRER ?

Cette incroyable jonglerie des milliards me rappelle un débat autour des « chiffres » qui a déchiré QS en 2007, soit peu après sa fondation.

À la suite d’un des premiers congrès, en conférence de presse, Françoise David s’était montrée imprécise quant au coût de certaines mesures phares de QS, dont Pharma-Québec.

Des dirigeants de QS avaient dans les semaines suivantes fait leur meaculpa et promis de se donner « les moyens, “au plus sacrant” de fournir des chiffres “blindés” ».

Un des membres fondateurs de QS, le philosophe Pierre Mouterde, n’était pas convaincu. Jusqu’à un certain point, « chiffrer » les propositio­ns pouvait représente­r un piège, faisait-il valoir. QS devait à son sens s’affranchir « de cette logique de comptabili­té » qui « enferme, qui réduit le champ des possibles ».

D’autres membres, comme le regretté philosophe Bernard Larivière, répliquère­nt : « Combien coûterait le salaire citoyen ? Combien d’impôt devraient payer les entreprise­s et les riches ? Vous ne voulez pas le savoir ? Moi, oui ! »

Je n’irais pas aussi loin que l’ex-chroniqueu­r et maintenant candidat dans Rosemont, Vincent Marissal, qui écrivait dans La Presse du 22 novembre 2008 : « Le problème, comme toujours, avec QS, c’est que son programme politique est construit sur les fondations instables de la pensée magique. »

Il reste qu’entre « réalisme étriqué » et utopie, il y a une marge.

Quand on est confus comme le fut QS jeudi à propos de montants aussi importants que ceux qu’implique le REM, on n’est plus un « pelleteux de nuages » au sens de Dantec.

On embrouille l’horizon ; avec du rose bonbon.

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Entre « réalisme étriqué » et l’utopie pure, il y a une marge. Quand on est confus comme le furent Manon Massé et QS jeudi à propos de montants aussi importants que ceux qu’implique le REM, on embrouille l’horizon.

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