Le Journal de Montreal

VIVRE SANS SON AUTRE MOITIÉ

Joyce Lalonde a longtemps cru qu’elle ne survivrait pas à la mort de sa jumelle identique. Devant le manque de ressources, elle tend la main à ceux qui ont subi une épreuve semblable.

- DAVID RIENDEAU, Collaborat­ion spéciale

Joyce Lalonde a longtemps cru qu’elle ne survivrait pas au départ de sa jumelle identique, qui a mis fin à ses jours il y a six ans. Incomprise et inconsolab­le, elle a même songé à s’enlever la vie avant de trouver en Ontario un groupe d’entraide pour les personnes orphelines de leur jumeau. Aujourd’hui, cette mère de famille souhaite tendre la main à ceux qui traversent une épreuve semblable à la sienne.

« Ça fait six ans que Jackie est partie et le vide qu’elle laisse est toujours aussi grand », confie avec émotion la dame de 54 ans qui reçoit Le Journal chez elle à Sainte-Sophie, dans les Laurentide­s. D’aussi loin que Joyce se souvienne, le lien qui l’unissait à sa soeur Jackie était plus fort que tout. « Mes parents n’en revenaient pas. On pouvait s’arracher les cheveux, puis faire comme si de rien n’était cinq minutes après. On s’insultait, mais personne d’autre n’avait droit de le faire parce qu’on était les seules à vraiment se connaître. Et même si on avait des personnali­tés très différente­s, on était absolument inséparabl­es », raconte celle qui a grandi dans une famille de sept frères et soeurs sur la Rive-Nord. Parvenue à l’âge adulte, chacune des soeurs jumelles s’est mariée et a fondé une famille. « Mon père a averti mon mari qu’en m’épousant, ma soeur était incluse dans le contrat. Et c’était vrai. On se parlait au téléphone tous les soirs et on se racontait tout. Elle était plus que ma meilleure amie, Jackie était mon reflet. Chaque anniversai­re, c’était à savoir qui allait souhaiter bonne fête en premier. On s’imaginait vieillir ensemble entourées de nos petits-enfants », raconte la dame qui travaille comme spécialist­e de collection chez un fournisseu­r de pièces d’autos.

PENTE DESCENDANT­E

Hélas, ce beau rêve ne s’est jamais matérialis­é. La vie de Jackie a pris un tournant dramatique après son divorce au milieu des années 1990. « Elle s’est mise à avoir de mauvaises fréquentat­ions, puis elle est tombée dans la cocaïne et l’alcool », raconte Joyce. Elle assistait, impuissant­e, à la lente descente aux enfers de sa soeur bien-aimée. Avec le temps, les problèmes se sont accumulés et elle a contracté des dettes avec des personnes peu recommanda­bles. « Elle avait brûlé tous les ponts à Saint-Jérôme et elle a suivi un niaiseux dans le Nord pour aller travailler là-bas. Je savais qu’elle se mettait dans le trouble et j’ai roulé jusqu’à Malartic pour la ramener avec moi en lui disant qu’elle pouvait rester à la maison. » Deux jours plus tard, sa soeur a filé à l’anglaise.

La dame affirme avoir tout tenté pour détourner sa jumelle de ses dépendance­s, allant même jusqu’à la convaincre de suivre une cure de désintoxic­ation, en vain. Quand Jackie est partie vivre chez son frère au Manitoba en 2010, sa soeur jumelle savait qu’elle était sur une pente descendant­e et qu’un jour, elle recevrait un appel qui lui annoncerai­t son décès.

Ce jour fatidique est survenu deux ans plus tard. Le 25 août 2012, son monde s’est écroulé. « Mon mari venait de décrocher le téléphone et il a prononcé mon nom. J’ai tout de suite compris que Jackie était partie. La veille, j’avais eu le pressentim­ent qu’une chose horrible lui était arrivée. »

Joyce a perdu bien plus qu’une soeur. « J’ai perdu la moitié de moi-même. Je me suis longtemps sentie coupable. Pourquoi ne l’ai-je pas sauvée ? J’ai tenté de le faire. Elle me disait que j’avais tout pour être heureuse, mais elle ne se rendait pas compte qu’en partant, elle me prenait tout. Même si elle me gardait debout toutes les nuits avec ses histoires, j’aurais tout fait pour elle... »

Incapable de travailler pendant six mois, Joyce a consulté un psychologu­e, sans toutefois trouver de réconfort. La mère de famille n’était plus que l’ombre d’elle-même. « Chaque soir pendant un an, j’ai pleuré sa perte. Personne ne me comprenait. Mon frère et mes soeurs me disaient : “nous aussi on a perdu une soeur”, mais ils ne pouvaient pas imaginer le lien qui s’était créé entre nous. J’ai eu souvent des pensées noires et je voulais que Jackie vienne me chercher. »

FRATERNITÉ COMPOSÉE

En proie à une grande détresse, la femme a contacté plusieurs organismes de soutien au Québec, mais aucun ne s’adressait à des personnes orphelines de leur jumeau. Après plusieurs mois de recherches infructueu­ses sur internet, Joyce est tombée sur le site de l’organisme américain Twinless Twins.

La dame a écrit à la responsabl­e canadienne du regroupeme­nt, Darling Moore, qui lui a rapidement répondu. « Elle me disait qu’elle était de passage au Québec et m’a proposé une rencontre. » Le lendemain, les deux femmes faisaient connaissan­ce dans un McDonald’s de Laval. « On a passé tout l’après-midi à parler et à pleurer. Darling avait perdu son frère jumeau. Elle me posait des questions sur Jackie et c’était la première fois que je me sentais comprise. Ça me faisait tellement du bien. »

Quelques semaines plus tard, Joyce a roulé plus de 650 kilomètres pour participer à une rencontre de jumeaux en deuil en Ontario. « Une douzaine de personnes se trouvaient dans la salle et je les voyais rire. Je me demandais comment c’était possible, puis j’ai compris qu’en trouvant d’autres jumeaux, on est capable de se confier sans barrière. Les gens se présentaie­nt à tour de rôle et racontaien­t comment ils avaient perdu leur jumeau. Pendant la pause, les participan­ts pouvaient échanger avec ceux dont l’histoire les avait interpellé­s. »

DES LIENS FORTS

Depuis cette première expérience encouragea­nte, Joyce participe deux fois par année à ces rencontres en Ontario qui se déroulent en anglais. Elle s’est même rendue à Detroit aux États-Unis en 2016 pour assister à une conférence internatio­nale de jumeaux en deuil. « Des liens très forts se tissent avec les autres. Je peux les appeler à tout moment quand j’ai besoin d’aide. Il y a des choses que seuls les jumeaux peuvent comprendre. » Si l’absence de sa soeur Jackie pèse toujours, Joyce n’a plus de pensées suicidaire­s, et ce, en grande partie grâce à son réseau de soutien. « Si ce n’était pas des autres jumeaux, je ne serais pas ici à vous parler. J’ai retrouvé une certaine paix intérieure. Mes proches l’ont remarqué. À Noël, ma fille m’a dit que ça faisait du bien de me voir sourire à nouveau. Maintenant, je me sens assez forte pour aider les autres. Je veux montrer aux jumeaux en deuil qu’il est possible de continuer à vivre. Ne serait-ce que pour perpétuer le souvenir du disparu. »

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PHOTO COURTOISIE Joyce Lalonde, à droite, avec sa soeur Jackie, en 2007.

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