VIVRE SANS SON AUTRE MOITIÉ
Joyce Lalonde a longtemps cru qu’elle ne survivrait pas à la mort de sa jumelle identique. Devant le manque de ressources, elle tend la main à ceux qui ont subi une épreuve semblable.
Joyce Lalonde a longtemps cru qu’elle ne survivrait pas au départ de sa jumelle identique, qui a mis fin à ses jours il y a six ans. Incomprise et inconsolable, elle a même songé à s’enlever la vie avant de trouver en Ontario un groupe d’entraide pour les personnes orphelines de leur jumeau. Aujourd’hui, cette mère de famille souhaite tendre la main à ceux qui traversent une épreuve semblable à la sienne.
« Ça fait six ans que Jackie est partie et le vide qu’elle laisse est toujours aussi grand », confie avec émotion la dame de 54 ans qui reçoit Le Journal chez elle à Sainte-Sophie, dans les Laurentides. D’aussi loin que Joyce se souvienne, le lien qui l’unissait à sa soeur Jackie était plus fort que tout. « Mes parents n’en revenaient pas. On pouvait s’arracher les cheveux, puis faire comme si de rien n’était cinq minutes après. On s’insultait, mais personne d’autre n’avait droit de le faire parce qu’on était les seules à vraiment se connaître. Et même si on avait des personnalités très différentes, on était absolument inséparables », raconte celle qui a grandi dans une famille de sept frères et soeurs sur la Rive-Nord. Parvenue à l’âge adulte, chacune des soeurs jumelles s’est mariée et a fondé une famille. « Mon père a averti mon mari qu’en m’épousant, ma soeur était incluse dans le contrat. Et c’était vrai. On se parlait au téléphone tous les soirs et on se racontait tout. Elle était plus que ma meilleure amie, Jackie était mon reflet. Chaque anniversaire, c’était à savoir qui allait souhaiter bonne fête en premier. On s’imaginait vieillir ensemble entourées de nos petits-enfants », raconte la dame qui travaille comme spécialiste de collection chez un fournisseur de pièces d’autos.
PENTE DESCENDANTE
Hélas, ce beau rêve ne s’est jamais matérialisé. La vie de Jackie a pris un tournant dramatique après son divorce au milieu des années 1990. « Elle s’est mise à avoir de mauvaises fréquentations, puis elle est tombée dans la cocaïne et l’alcool », raconte Joyce. Elle assistait, impuissante, à la lente descente aux enfers de sa soeur bien-aimée. Avec le temps, les problèmes se sont accumulés et elle a contracté des dettes avec des personnes peu recommandables. « Elle avait brûlé tous les ponts à Saint-Jérôme et elle a suivi un niaiseux dans le Nord pour aller travailler là-bas. Je savais qu’elle se mettait dans le trouble et j’ai roulé jusqu’à Malartic pour la ramener avec moi en lui disant qu’elle pouvait rester à la maison. » Deux jours plus tard, sa soeur a filé à l’anglaise.
La dame affirme avoir tout tenté pour détourner sa jumelle de ses dépendances, allant même jusqu’à la convaincre de suivre une cure de désintoxication, en vain. Quand Jackie est partie vivre chez son frère au Manitoba en 2010, sa soeur jumelle savait qu’elle était sur une pente descendante et qu’un jour, elle recevrait un appel qui lui annoncerait son décès.
Ce jour fatidique est survenu deux ans plus tard. Le 25 août 2012, son monde s’est écroulé. « Mon mari venait de décrocher le téléphone et il a prononcé mon nom. J’ai tout de suite compris que Jackie était partie. La veille, j’avais eu le pressentiment qu’une chose horrible lui était arrivée. »
Joyce a perdu bien plus qu’une soeur. « J’ai perdu la moitié de moi-même. Je me suis longtemps sentie coupable. Pourquoi ne l’ai-je pas sauvée ? J’ai tenté de le faire. Elle me disait que j’avais tout pour être heureuse, mais elle ne se rendait pas compte qu’en partant, elle me prenait tout. Même si elle me gardait debout toutes les nuits avec ses histoires, j’aurais tout fait pour elle... »
Incapable de travailler pendant six mois, Joyce a consulté un psychologue, sans toutefois trouver de réconfort. La mère de famille n’était plus que l’ombre d’elle-même. « Chaque soir pendant un an, j’ai pleuré sa perte. Personne ne me comprenait. Mon frère et mes soeurs me disaient : “nous aussi on a perdu une soeur”, mais ils ne pouvaient pas imaginer le lien qui s’était créé entre nous. J’ai eu souvent des pensées noires et je voulais que Jackie vienne me chercher. »
FRATERNITÉ COMPOSÉE
En proie à une grande détresse, la femme a contacté plusieurs organismes de soutien au Québec, mais aucun ne s’adressait à des personnes orphelines de leur jumeau. Après plusieurs mois de recherches infructueuses sur internet, Joyce est tombée sur le site de l’organisme américain Twinless Twins.
La dame a écrit à la responsable canadienne du regroupement, Darling Moore, qui lui a rapidement répondu. « Elle me disait qu’elle était de passage au Québec et m’a proposé une rencontre. » Le lendemain, les deux femmes faisaient connaissance dans un McDonald’s de Laval. « On a passé tout l’après-midi à parler et à pleurer. Darling avait perdu son frère jumeau. Elle me posait des questions sur Jackie et c’était la première fois que je me sentais comprise. Ça me faisait tellement du bien. »
Quelques semaines plus tard, Joyce a roulé plus de 650 kilomètres pour participer à une rencontre de jumeaux en deuil en Ontario. « Une douzaine de personnes se trouvaient dans la salle et je les voyais rire. Je me demandais comment c’était possible, puis j’ai compris qu’en trouvant d’autres jumeaux, on est capable de se confier sans barrière. Les gens se présentaient à tour de rôle et racontaient comment ils avaient perdu leur jumeau. Pendant la pause, les participants pouvaient échanger avec ceux dont l’histoire les avait interpellés. »
DES LIENS FORTS
Depuis cette première expérience encourageante, Joyce participe deux fois par année à ces rencontres en Ontario qui se déroulent en anglais. Elle s’est même rendue à Detroit aux États-Unis en 2016 pour assister à une conférence internationale de jumeaux en deuil. « Des liens très forts se tissent avec les autres. Je peux les appeler à tout moment quand j’ai besoin d’aide. Il y a des choses que seuls les jumeaux peuvent comprendre. » Si l’absence de sa soeur Jackie pèse toujours, Joyce n’a plus de pensées suicidaires, et ce, en grande partie grâce à son réseau de soutien. « Si ce n’était pas des autres jumeaux, je ne serais pas ici à vous parler. J’ai retrouvé une certaine paix intérieure. Mes proches l’ont remarqué. À Noël, ma fille m’a dit que ça faisait du bien de me voir sourire à nouveau. Maintenant, je me sens assez forte pour aider les autres. Je veux montrer aux jumeaux en deuil qu’il est possible de continuer à vivre. Ne serait-ce que pour perpétuer le souvenir du disparu. »