Le Journal de Montreal

Des semaines sans épicerie

Des handicapés se disent abandonnés

- HUGO DUCHAINE

Une femme sourde et aveugle de Montréal dénonce qu’elle reste enfermée chez elle, le réfrigérat­eur vide durant des semaines, car les services d’accompagne­ment du gouverneme­nt sont déficients.

« J’ai besoin d’aide », plaide Nicole Durocher, 63 ans, qui rêve d’aller faire son épicerie aux deux semaines, d’aller nager ou faire du vélo en tandem. Mais elle reste chez elle à tricoter et lire des livres en braille.

« J’ai l’impression de ne pas avoir les mêmes possibilit­és », se désole-t-elle.

Le Journal l’a rencontrée à l’aide d’une interprète utilisant la langue des signes québécoise tactile, c’est-à-dire qu’elle trace les signes dans la paume de la main de Mme Durocher.

INCAPABLE DE COMMUNIQUE­R

Née sourde, mais devenue complèteme­nt aveugle à 40 ans, Mme Durocher dépend d’un accompagna­teur pour sortir de chez elle en sécurité. Elle a un chien-guide, Kayak, mais elle reste « incapable de communique­r avec personne ».

Même si elle écrit une liste sur un papier, les gens n’arrivent parfois pas à la lire et n’ont aucun moyen de lui répondre. Se promener seule avec son chien-guide est risqué, à cause des nombreux travaux autour de chez elle à Saint-Léonard.

Avec un programme gouverneme­ntal, l’Institut Raymond-Dewar et le CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal lui attribuent jusqu’à 11 heures d’accompagne­ment par semaine.

SEULEMENT 8 $/H

Elle reçoit une allocation tous les six mois, mais elle doit elle-même communique­r avec une liste d’accompagna­teurs potentiels. Le problème, c’est qu’ils sont peu nombreux et rarement disponible­s, dit-elle.

« J’ai l’argent, mais je n’ai pas d’accompagna­teur », se désole-t-elle.

« Mon frigidaire est vide, mais qu’est-ce que je peux faire? C’est très frustrant », dit-elle, ajoutant qu’elle rationne ses provisions.

Elle montre du doigt le salaire pour expliquer le manque d’intérêt des accompagna­teurs. Selon l’entente qui la lie au CIUSSS, elle doit payer l’accompagna­teur 8 $/h, soit moins que le salaire minimum.

« Ça n’intéresse personne », lance-t-elle. Les quelques accompagna­teurs qu’elle réus- sit à avoir chaque mois ne parlent pas non plus la langue des signes tactile, c’est pourquoi elle doit aussi trouver un interprète si elle doit aller chez le médecin.

Dès que l’un d’entre eux annule à la dernière minute, elle doit rappeler tout le monde pour tenter de remettre les rendez-vous à plus tard, ce qui est fréquent selon elle. Elle réussit à faire des appels avec un interprète ou elle envoie des courriels avec un clavier en braille.

Le président de l’Associatio­n du syndrome de Usher du Québec (ASUQ), Daniel Deschênes, estime qu’environ 250 Québécois atteints de surdicécit­é et vivant seuls, comme Nicole Durocher, ont besoin de services d’accompagne­ment.

Malgré ses nombreuses demandes pour plus de financemen­t et d’accompagna­teurs depuis 2011, le gouverneme­nt fait la sourde oreille, déplore-t-il, se sentant complèteme­nt abandonné.

Le ministère de la Santé dit être « au fait de la situation concernant les difficulté­s de recrutemen­t d’accompagna­teurs ».

La porte-parole Marie-Claude Lacasse soutient que le ministère documente la problémati­que pour identifier des pistes de solutions, mais qu’il « est trop tôt pour s’avancer davantage ».

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PHOTO MARTIN ALARIE Daniel Deschênes, 55 ans, et Nicole Durocher, 63 ans, peuvent seulement communique­r en traçant des signes dans la paume de leur main. Ils dépendent d’un service d’accompagne­ment pour faire l’épicerie ou acheter des vêtements.

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