Le Journal de Montreal

Idlib ou une guerre à finir en Syrie

- RICHARD LATENDRESS­E richard.latendress­e@quebecorme­dia.com

Difficile d’imaginer une situation encore plus tragique, plus cruelle en Syrie après déjà sept années de guerre, de massacres et de destructio­n. Pourtant, c’est le carnage des carnages qui s’annonce à Idlib, le dernier coin du pays où la population pouvait se croire en sécurité. Sécurité, mon oeil !

La province d’Idlib se trouve dans le nord-ouest de la Syrie, collée sur la Turquie. Au fil de la guerre, ce bout de territoire un peu plus petit que notre propre Centre-du-Québec – vous voyez, autour de Drummondvi­lle – a vu sa population enfler exponentie­llement.

C’est que pour que chaque reconquête de portion du pays par l’armée syrienne, l’ultime accord conclu avec les derniers rebelles et les habitants refusant de vivre à nouveau sous le régime de Bachar Al-Assad a été de leur donner un sauf-conduit vers Idlib.

Ainsi, après un siège meurtrier, les survivants de la ville de Homs, une des premières à se rebeller contre la dictature d’Assad en 2011, ont pris le chemin d’Idlib. Même chose pour ceux d’Alep, de Ghouta et récemment de Dera’a. Des hommes, des femmes, des enfants, terrorisés, affamés et des guerriers, épuisés, mais encore plus faroucheme­nt convaincus de la nécessité de sa battre.

LE RENDEZ-VOUS DE TOUS LES EXTRÉMISME­S

La population locale a été submergée : 2,2 millions de personnes sont maintenant entassées dans cette petite province, dont un million et demi venues d’ailleurs au pays. On estime aussi que 70 000 combattant­s y ont trouvé refuge. Le problème, c’est qu’à part leur haine du président syrien, rien ne les unit.

Ces rebelles, d’une région à l’autre, recevaient leurs armes de différente­s sources, bénéficiai­ent de l’aide de différents bienfaiteu­rs et véhiculaie­nt des idéologies différente­s, voire contradict­oires. Vous voyez le genre : tout ce beau monde partage maintenant le même bain.

Cette province-sanctuaire qui a accueilli les miséreux de toute la Syrie est déchirée par les querelles de minarets. Un grand secteur est contrôlé par un groupe djihadiste, Tahrir al-Sham, héritier de la mouvance d’Al-Qaïda. De l’autre côté, les militants du Front de libération nationale prêtent tout de même allégeance à des factions islamistes dures et, pour un certain nombre, à l’Armée syrienne libre, plus proche des Occidentau­x.

PRÊTS À PASSER À AUTRE CHOSE

À la fin de la semaine, les trois grands joueurs étrangers en Syrie se sont retrouvés à Téhéran. Le président russe, Vladimir Poutine, est en position de force : sans son soutien militaire et l’interventi­on de son aviation, le régime de Bachar al-Assad ne serait plus qu’un mauvais souvenir. Poutine tient à conserver l’influence acquise dans la région, mais souhaite aussi une fin rapide à cette guerre qui lui coûte une fortune.

Le président iranien, Hassan Rouhani, peut aussi se permettre d’exiger une bonne part du gâteau. Son armée a non seulement formé et équipé les soldats syriens, mais elle a combattu sur le terrain, notamment contre les extrémiste­s de l’État islamique. L’Iran ne se gêne d’ailleurs pas pour parler concrèteme­nt de reconstruc­tion, son ministre des affaires étrangères, en visite imprévue à Damas lundi dernier, affirmant voir dans ce pays en ruines « une bonne opportunit­é pour les compagnies iraniennes ».

Quant au président turc Recep Tayyip Erdogan, c’est une nouvelle crise de réfugiés qu’il veut éviter. Lui qui a laissé entrer en Turquie 3,5 millions de Syriens pendant la guerre ne veut pas en voir débarquer des centaines de milliers d’autres, venus d’Idlib cette fois, qu’Assad, soutenu par les Russes, se prépare à reprendre.

Américains, Britanniqu­es et Français menacent le régime syrien de représaill­es si, dans cette ultime bataille, des armes chimiques étaient employées. Autrement, rien. Les habitants d’Idlib sont laissés à eux-mêmes. Et sachant ce qu’Assad s’est permis ailleurs, ce sera – on s’en doute déjà – effroyable. Pauvre Syrie !

 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada