Le Journal de Montreal

Place aux femmes en politique

- FATIMA HOUDA-PEPIN Politologu­e, consultant­e internatio­nale et conférenci­ère La première députée élue du Québec, Marie-Claire Kirkland-Casgrain fatima.houda-pepin @quebecorme­dia.com

L’un des aspects marquants de la présente campagne électorale est sans conteste la participat­ion significat­ive des femmes, à titre de candidates.

Elles ne seront pas toutes élues, mais les efforts consentis par les partis politiques, notamment la CAQ et QS, méritent d’être soulignés.

SAVOIR D’OÙ L’ON VIENT

C’est que nous venons de loin. Le Québec est la dernière province à avoir accordé le droit de vote aux femmes au Canada, 24 ans après le Manitoba dont les citoyennes l’avaient eu en janvier 1916.

Alors que le suffrage leur était acquis au niveau fédéral, les Québécoise­s ne pouvaient l’exercer au provincial. L’épiscopat catholique y voyait un geste « contraire aux idées chrétienne­s » et Maurice Duplessis pesait de tout son poids pour empêcher que cela arrive.

On doit cet acquis aux milliers de militantes avec, à leur tête, les trois suffragett­es Marie Gérin-Lajoie, Thérèse Casgrain et Isola Saint-Jean, qui se sont relayées pour le réclamer.

De 1922 à 1939, 13 projets de loi, ces « bills des femmes » ont été déposés, année après année, au Parlement et rejetés, systématiq­uement, par nos « honorables députés ».

J’ai passé à la loupe les innombrabl­es discours qu’ils y avaient tenus, dans les années 1920-1930 et j’en ai retenu quelques perles, dont celles-ci :

√ « Le droit de vote des femmes n’est aucunement nécessaire. Le Canada a été découvert alors que les femmes n’avaient pas ce droit et personne n’a eu à s’en plaindre » (Pierre Gauthier, député de Portneuf, le 20 mars 1935) ;

√ Son collègue, Robert-Raoul Bachand, député de Shefford, lui fera écho, le même jour: « Il y a trop de renards dans la politique pour y introduire des poules » ;

√ Plus stratège, Albiny Paquette, député de Labelle, a vu venir la menace : « Si ce droit leur est accordé, il s’ensuit qu’elles pourront être députées, ministres, se lancer dans la politique. C’est pourquoi je refuse de participer à un geste aussi lourd de conséquenc­es. »

Ce geste lourd de conséquenc­es a été posé par le premier ministre libéral, Adélard Godbout, avec la présentati­on du projet de loi accordant aux femmes le droit de vote et d’éligibilit­é, qui sera adopté, dans sa version finale, le 25 avril 1940.

C’est ainsi que les Québécoise­s n’ont pu voter, pour la première fois, au provincial, qu’en août 1944. Et jusqu’en 1960, aucune candidate, parmi les 11 qui s’étaient présentées, n’avait été élue.

POUR SAVOIR OÙ L’ON VA

Il a fallu attendre 21 ans pour que MarieClair­e Kirkland-Casgrain fasse l’histoire, en devenant la première députée élue au Québec. C’était le 14 décembre 1961.

Cela ne lui avait pas épargné l’humiliatio­n de se faire refuser un logement à Québec, car madame la députée ne pouvait pas signer son bail. C’est son mari qui l’a fait pour elle.

Nommée ministre dans le gouverneme­nt de Jean Lesage, en 1962, elle corrigera cette injustice en faisant adopter, en 1964, la loi 16 sur la capacité juridique de la femme mariée, qui libérera les Québécoise­s de la tutelle conjugale.

Ce n’est qu’à partir de cette date que les Québécoise­s pouvaient signer des contrats et ouvrir un compte en banque en leur propre nom.

Marie-Claire quittera la vie politique en 1973 après avoir été la seule femme membre d’un conseil des ministres pendant 11 ans. Lise Bacon prendra le relais de 1973 à 1976.

Avec le gouverneme­nt de René Lévesque, en 1976, on assistera à l’arrivée de quatre nouvelles députées du Parti québécois : Louise Sauvé Cuerrier, Jocelyne Ouellet, Denise Leblanc-Bantey et Lise Payette, décédée mercredi dernier.

Lise Bacon reviendra de 1981 à 1994 et d’autres suivront, mais nous avançons toujours à petits pas. La parité n’est toujours pas à l’horizon.

Finalement, le député Albiny Paquette ne s’était pas trompé. Les femmes sont parvenues à investir les lieux de pouvoir comme députées et ministres. Il ne l’avait pas prévu, mais nous avons même eu une première ministre, Pauline Marois.

Peut-être que l’élection en vue nous réservera des surprises. Quoi qu’il en soit, la longue marche des femmes pour l’égalité, elle, continue.

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