Le Journal de Montreal

Kanata : quel gâchis !

- SOPHIE DUROCHER sophie.durocher @quebecorme­dia.com

Quelle ironie quand même ! Pour finalement voir la pièce Kanata, coécrite par deux Canadiens (Robert Lepage et Michel Nadeau), qui parle des autochtone­s du Canada, il va falloir aller à Paris, qui comme chacun sait, est une ville où les autochtone­s ne courent pas les rues.

Au lieu de permettre la plus large diffusion possible d’un hommage à leur culture, les militants autochtone­s auront juste réussi à faire taire le dialogue.

ENTERRER LA HACHE DE GUERRE

Le Théâtre du Soleil a finalement décidé de présenter Kanata, de décembre à février à Paris, mais Robert Lepage travailler­a sans salaire.

Juste parce que Ariane Mnouchkine et Lepage ont décidé de changer le titre de la pièce pour l’intituler Kanata -Épisode I- La Controvers­e, certains ont été offensés ! « Faudrait quand même pas que les Blancs fassent de l’argent avec notre opposition à la pièce », ont-ils déclaré en substance.

Dans La Presse, l’ethnologue autochtone Isabelle Picard a écrit : « On table sur ce qui s’est passé cet été pour mousser la vente de billets ? J’ai toujours dit que je trouvais dommage que la pièce ne voie pas le jour, que c’était une belle occasion d’enrichisse­ment mutuel manquée, que ce n’est pas ce qui était voulu. Là, avec un tel titre, je suis moins convaincue. Peut-être n’est-ce qu’une tactique pour faire salle comble. J’espère que l’opportunis­me annoncé n’est qu’un faux-semblant. »

Misère, des artistes qui veulent que le public aille voir leur pièce, c’est de l’opportunis­me ?

Des artistes qui choisissen­t de refléter dans leur création la controvers­e que celle-ci a provoquée, c’est une tactique ?

Non seulement les militants voulaient dicter à Lepage ce qu’il avait le droit de dire, mais ils veulent un droit de veto sur le titre ?

Ça me fait penser à Maïtée Labrecque-Saganash, qui écrivait sur Twitter au sujet des 35 membres des communauté­s autochtone­s qui ont rencontré Robert Lepage : « Tout ce qu’on voulait c’était de bonifier la pièce, vraiment. »

Non mais quelle prétention, de penser qu’on va « bonifier » l’oeuvre d’un génie créatif… en lui dictant quoi écrire.

Labrecque-Saganash avait aussi écrit ce commentair­e minable : « Décider d’annuler une pièce au lieu de travailler avec nous sur celle-ci, c’est lâche. »

Qualifier Lepage de lâche, alors qu’il a fait face avec courage à un torrent d’animosité et qu’il avait annulé pour des raisons financière­s, c’était odieux.

C’est peut-être à ça que le Théâtre du Soleil faisait référence dans son communiqué annonçant la reprise de Kanata, quand il mentionnai­t les « tentatives d’intimidati­on idéologiqu­e en forme d’articles culpabilis­ants ou d’imprécatio­ns accusatric­es, sur les réseaux sociaux ».

APPROPRIAT­ION, MON OEIL !

En 1994 dans Le Marché aux illusions, Neil Bissoondat­h, écrivain québécois, d’origine indienne, né aux Antilles, écrivait tout le mal qu’il pensait de cette notion d’« appropriat­ion culturelle ».

« Doit-on comprendre que les écrivains autochtone­s doivent seulement écrire sur les autochtone­s et, même, un écrivain cri seulement sur les Cris, un écrivain mohawk seulement sur les Mohawks ? »

Quand il se moquait des militants anti-appropriat­ion culturelle, il se faisait traiter de « raciste de droite vendu à la cause de l’impérialis­me colonial » ?

S’il écrivait son livre 24 ans plus tard, de quoi se ferait-il traiter ?

De suprémacis­te blanc ?

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