GUY FOURNER: L'homme de Netflix au Canada
Le géant Netflix a maintenant son cheval de Troie. Il arrive aujourd’hui de Washington, piaffant et bien ferré, fin prêt à nous convaincre que son maître n’est pas l’ennemi qu’on imagine.
Ce cheval de Troie, c’est Stéphane Cardin, directeur des politiques publiques de Netflix pour le Canada. Dynamique, intelligent, aussi à l’aise dans l’une et l’autre de nos langues officielles et connaissant le marché sur le bout de ses doigts, l’ex-vice-président du Fonds des médias du Canada* est aussi astucieux qu’Ulysse.
Il n’arrive pas comme le héros grec caché dans un cheval de bois, mais fort d’un trésor de guerre quasi inépuisable. Netflix ne s’estil pas engagé à dépenser 500 millions $ au Canada en cinq ans ? Des « pinottes » en regard des 13 milliards $ qu’il se prépare à investir en séries originales, mais un pactole pour nos producteurs affamés et nos diffuseurs à bout de souffle.
LA CBC A BRISÉ LA GLACE
Notre diffuseur public, la CBC, fut le premier à succomber aux appels de la sirène américaine. Sans l’apport de Netflix, Anne, l’excellent « remake » du roman de Lucy Maud Montgomery, n’aurait pas vu le jour. Pas plus qu’Alias Grace, la minisérie adaptée du roman de Margaret Atwood.
La première offensive de Stéphane Cardin se portera sans doute du côté francophone. Une grosse coproduction Radio-Canada/Netflix avec quelques-unes de nos vedettes clouerait le bec des nombreux détracteurs québécois du Goliath de Reed Hastings.
La présence de Netflix chez nous comme investisseur et distributeur est à première vue une bénédiction. Elle permettra de financer des séries qu’on ne pourrait jamais produire seul. Elle leur assurera surtout une vitrine mondiale.
RICHE COMME NETFLIX
Quand on est aussi riche que Netflix, on ne compte pas. La première saison de The Crown aurait coûté 150 millions $ CAN, soit 15 millions $ par épisode. La deuxième aurait coûté davantage. C’est 15 à 20 fois plus que nos séries. Celles de Netflix ne sont pas toutes produites à ce prix. Heureusement, car ce que Netflix compte investir au Canada ne suffirait pas à produire une seule minisérie par an.
Ces budgets faramineux ne peuvent qu’alimenter une inflation galopante des coûts de production, rendant à terme nos propres séries hors de portée de nos diffuseurs. Il s’en faut déjà de peu pour que CBC/Radio-Canada soient les seuls réseaux capables de s’offrir des séries comme Murdoch Mysteries, Les pays d’en haut ou Unité 9.
LA PROIE POUR L’OMBRE
Hier, le Globe and Mail publiait une longue déclaration des patrons de quatre sociétés de technologie du Québec, dont Stingray d’Éric Boyco, dénonçant les effets pervers de l’aide gouvernementale à des sociétés étrangères comme Warner et Ubisoft, qui paient peu ou pas d’impôt chez nous. Sans compter que les crédits qu’elles touchent pour les emplois créés contribuent à assécher notre réservoir de main-d’oeuvre qualifiée.
Si Netflix et ses semblables bénéficient des mêmes aides financières que nos producteurs, ceux-ci se retrouveront vite dans la même situation désavantageuse que nos sociétés canadiennes de technologie.
Nous aurons alors, encore une fois, lâché la proie pour l’ombre.
* Par souci de transparence, notez que je fais partie du conseil d’administration du Fonds des médias du Canada.