Le Journal de Montreal

Sauver la face coréenne de Donald Trump

- loic.tasse@quebecorme­dia.com LOÏC TASSÉ

Les présidents de la Corée du Nord et de la Corée du Sud sont sortis très satisfaits de leur rencontre de trois jours cette semaine à Pyongyang.

Le président sud-coréen a même annoncé, tout réjoui, qu’il allait transmettr­e des « messages secrets » de Kim Jong-un à Donald Trump. On se croirait dans une cour de récréation du primaire. Pourtant, ce qui se trame dans la région n’a rien d’enfantin. Il ressort de plus en plus que les pays impliqués dans la dénucléari­sation de la Corée du Nord ont bien peu d’intérêts communs.

On peut même dire que les deux Corées, la Chine et la Russie ont des intérêts de plus en plus opposés à ceux des États-Unis. À tel point qu’il est permis de se demander si Washington n’est pas en train de perdre la maîtrise de l’agenda.

1 Que proposent les Nord-Coréens ?

La Maison-Blanche veut la liste complète de tous les sites d’armement nucléaire. Kim Jong-un promet qu’il va dénucléari­ser son pays complèteme­nt d’ici 2021. Pour montrer sa bonne volonté, il propose de démanteler son site de recherche nucléaire principal. Il fait remarquer qu’il n’a pas procédé non plus à de nouveaux essais nucléaires. En échange, il demande des gestes des Américains.

2 La Corée du Nord fait-elle de véritables concession­s ?

Non, et personne ne devrait être dupe. La Corée du Nord, après six essais nucléaires, n’a plus besoin de faire exploser des bombes nucléaires pour développer son programme. En plus, les Nord-Coréens sont des experts mondiaux en creusage d’abris et de tunnels souterrain­s. Comment être sûr que la Corée du Nord va divulguer tous ses sites nucléaires ? C’est impossible.

3 Que risquent les États-Unis ?

Les États-Unis risquent de devenir les grands méchants de cette négociatio­n. Parce qu’hypocritem­ent, les gouverneme­nts russe et chinois demandent aux États-Unis de faire des concession­s eux aussi, et donc de réduire leur présence militaire en Corée du Sud. Une présence militaire qui sert bien davantage à surveiller la Chine et la Russie qu’à protéger la Corée du Sud. Or, les États-Unis vont soit refuser, et perdre du soutien populaire en Corée du Sud, soit accepter, et perdre de la puissance en Asie de l’Est.

4 Les Sud-Coréens vont-ils soutenir la réunificat­ion ?

Même si le soutien à la réunificat­ion a considérab­lement fléchi depuis quelques années, les grandes industries de la Corée du Sud voient dans la réunificat­ion deux grands avantages. D’abord, la main-d’oeuvre nord-coréenne est abondante, bien formée et bon marché, tandis que la main d’oeuvre sud-coréenne est de plus en plus chère et de moins en moins nombreuse. Ensuite, les compagnies sud-coréennes voient dans la Corée du Nord un immense marché qu’elles peuvent conquérir. D’ailleurs, les grands capitaines de l’industrie sud-coréenne ont accompagné le président sud-coréen lors de sa visite

à Pyongyang.

5 Que risque-t-il d’arriver ?

L’embargo mené par les Américains contre la Corée du Nord craque de toutes parts. La partie qui est en train de se jouer s’appelle donc sauver la face. Sauver la face du président Trump, pour son électorat. Sauver la face de ceux qui veulent la dénucléari­sation. Sauver la face de Kim Jong-un. Ce qui est triste, c’est qu’une fois les bases américaine­s parties, une fois le processus de modernisat­ion de la Corée du Nord bien engagé, la Corée du Sud risque de basculer dans le giron de la Corée du Nord. Cela prendra quelques décennies peut-être, mais la Chine y veillera.

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Kim Jong-un et Moon Jae-in
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