Le Journal de Montreal

Un marathon en fauteuil roulant

Atteinte de la maladie des os de verre, Jani Barré tentera de rouler 42,2 kilomètres

- MAGALIE LAPOINTE

Une femme de 39 ans qui a eu 157 fractures, dont 50 aux bras, espère compléter son premier marathon en fauteuil roulant aujourd’hui à Montréal.

Jani Barré est atteinte de la maladie des os de verre. Chacun de ses mouvements risque de lui casser un os. La femme de Saint-Hyacinthe s’est d’ailleurs déjà fracturé une épaule simplement en faisant le tour de sa maison en fauteuil roulant.

Alors le défi de franchir la ligne d’arrivée du Marathon de Montréal après 42,2 kilomètres à éviter les bouches d’égout, les nidsde-poule et les 35000 autres coureurs est immense pour elle.

Contrairem­ent aux autres coureurs qui peuvent admirer le paysage, Mme Barré doit rester très alerte tout au long de la course pour éviter une blessure grave. Il s’agit d’un exploit irréalisab­le pour la quasi-totalité des gens atteints de cette maladie. Mais pas pour Jani Barré. « Mon père et des amis vont m’attendre à la ligne d’arrivée. Je suis remplie de gratitude de faire ce marathon dimanche. Quand tu regardes ça, pour une fille qui s’est cassé les bras 50 fois, c’est un miracle », a mentionné l’athlète.

TOXICOMANI­E

Rien pourtant ne prédestina­it Mme Barré à prendre un jour le départ du Marathon de Montréal. De sa naissance jusqu’à ses 25 ans, elle a dû prendre de puissants cocktails de médicament­s antidouleu­r. Mme Barré consommait de la morphine et de la codéine à un rythme effréné. Un peu comme une personne en santé prend des vitamines. À l’adolescenc­e, elle en est devenue dépendante. Elle a alors sombré dans la toxicomani­e et l’alcoolisme. Entre 15 et 35 ans, elle a consommé beaucoup d’amphétamin­es et d’alcool. C’était, à l’époque, la meilleure façon pour elle d’oublier la maladie. Elle a depuis remplacé ce cocktail toxique par le sport. Son côté excessif est cependant resté bien présent. Elle s’entraîne à la boxe cinq fois par semaine pour renforcer le haut de son corps. Elle a roulé 10 à 12 kilomètres presque tous les jours, même en hiver. Elle a même coupé le sucre pour atteindre un poids de 118 livres, alors qu’elle en pesait 142 à pareille date l’an dernier. Cette perte de poids l’aidera à moins forcer des bras à chaque poussée. Elle espère ainsi compléter le marathon en cinq heures. « Je veux que les gens s’en sortent [de la toxicomani­e]. Tout est tellement mieux sobre. Je suis récompensé­e fois un million. Lorsque je consommais, j’étais révoltée de tout. Dans le miroir, je ne voyais que mes cicatrices. Je n’avais

« POUR UNE FILLE QUI S’EST CASSÉ LES BRAS 50 FOIS, C’EST UN MIRACLE » - Jani Barré

pas d’estime. Là, je suis consciente, je suis lucide, je me trouve belle le matin. Je ne veux plus mourir, je veux vivre », a dit l’ancienne toxicomane.

LA MORT DE PRÈS

Mme Barré puise sa force de caractère et sa persévéran­ce dans les expérience­s difficiles qu’elle a vécues depuis sa naissance.

Pendant la course aujourd’hui, elle pensera peut-être à l’opération majeure au dos qu’elle a dû subir lorsqu’elle avait 16 ans. Elle avait alors une chance sur deux de ne pas se réveiller après l’opération. La chirurgie était devenue nécessaire en raison d’une scoliose importante qui l’empêchait de bien respirer. En fait, un seul de ses poumons était fonctionne­l. L’autre était écrasé par la colonne vertébrale.

Sur la ligne d’arrivée, peut-être aura-telle une pensée pour toutes les fois où elle a été hospitalis­ée. Elle a passé plus de la moitié de sa vie alitée dans un hôpital à ne pas pouvoir bouger pour éviter qu’un autre os ne se casse.

SAUVÉE GRÂCE AU SPORT

Jani Barré est convaincue d’avoir été sauvée grâce au sport. Depuis qu’elle s’entraîne, ses os sont plus solides. Elle est certaine que l’activité physique a quelque chose à voir avec le fait qu’elle ne s’est rien cassé depuis 14 ans. C’est exceptionn­el, puisqu’en vieillissa­nt, les os des gens atteints de la maladie des os de verre deviennent plus fragiles.

« Avant ça, je me serais cassé une clavicule ou un bras en faisant un marathon. Le sport va me sauver. Moi, quand je me lève le matin, je me dis que je suis en santé. Je suis dans le meilleur de ma vie. Je n’ai jamais été aussi forte que ça », a lancé avec conviction Jani Barré.

Mais elle ne tient rien pour acquis. Elle persiste à croire que tout est dans son attitude positive ainsi que dans l’effort qu’elle met dans l’activité physique.

Elle a développé cette attitude depuis le 8 septembre 2014, jour où elle a cessé de consommer. Depuis, elle a troqué sa bière pour son jus d’orange, sa drogue pour la boxe et la cigarette contre des bouffées d’air pur en roulant à l’extérieur. Elle est convaincue que cette recette gagnante lui sauvera la vie.

COURIR COMME LES AUTRES

Depuis six ans, Jani Barré attire les regards lorsqu’elle complète le demi-marathon de Montréal. Mais l’an dernier, en terminant son dernier kilomètre, elle s’est juré qu’elle reviendrai­t cette année compléter 42,2 kilomètres. Depuis sa sobriété, elle carbure à l’intensité et aux défis.

Mme Barré n’a jamais voulu s’acheter un fauteuil roulant conçu pour la course. Même si elle ne peut atteindre plus que 10 km/h avec son fauteuil régulier, elle préfère rouler avec son fauteuil.

Il est pour elle le cinquième membre nécessaire pour atteindre ses objectifs.

« Je n’ai pas l’impression que je suis en chaise, tellement elle fait partie de moi. C’est pareil comme mes jambes. Un moment donné quand tu as passé toute ta vie là-dedans, c’est comme ça. Tu ne t’en rends plus compte. Moi, c’est ça ma vie. Je n’ai pas vécu d’autre chose », a dit Jani Barré.

En réalisant cet exploit, elle espère ainsi inspirer d’autres personnes en fauteuil roulant. Elle aimerait également réaliser les marathons de Las Vegas et de New York dans un avenir rapproché.

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Jani Barré à l’entraîneme­nt lundi dernier dans les rues de Saint-Hyacinthe.
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Jani Barré a installé un sac de frappe dans la cour de sa résidence afin de pouvoir renforcer le haut de son corps.

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