Le Journal de Montreal

LES EXPERTS SONNENT L’ALARME

La maladie du cerf fou considérée danger public

- STÉPHANE SINCLAIR ANNE CAROLINE DESPLANQUE­S

GRENVILLE-SUR-LA-ROUGE | Des propriétai­res ou locataires de terrains de chasse dans les Laurentide­s ont décidé d’interdire l’accès aux agents du gouverneme­nt qui veulent venir y tuer les cervidés sauvages pour protéger la population.

« Le gouverneme­nt fonctionne tout croche, dit Donald Forté, un chasseur qui possède un chalet à Boileau, en Outaouais. Ils vont tout tuer avec leurs chasseurs américains sans nous dédommager. Nous n’aurons plus d’animaux sauvages. »

Vendredi dernier, à 24 heures de l’ouverture de la saison, le ministère de la Faune a interdit la chasse dans une partie des zones 9 et 10 qui sont situées entre les Laurentide­s et l’Outaouais.

Ces secteurs sont situés tout près de l’élevage de cerfs où une bête atteinte de la maladie débilitant­e chronique a été trouvée pour la première fois dans la province.

AMÉRICAINS À L’AIDE

Quelques heures après, Le Journal révélait que Québec avait embauché une firme américaine qui a fait ses preuves dans l’État de New York où la même maladie sévissait pour venir abattre les cerfs.

Cette décision fait bondir les chasseurs des régions touchées. « J’ai investi une fortune et je loue des terres pour chasser. Et ce sont les Américains qui vont venir tuer mes bêtes ? » s’indigne M. Forté.

Selon lui, les agents de la faune lui ont interdit toute forme de chasse.

« J’ai pas le droit de chasser les bernaches, l’ours et j’ai même pas le droit de trapper », lance M. Forté.

Plusieurs chasseurs de la région songeraien­t même à déposer un recours collectif contre les ministères de la Faune et celui de l’Agricultur­e, tous deux impliqués dans la gestion de la maladie débilitant­e chronique du cervidé.

M. Forté aurait aimé que le gouverneme­nt inclue les chasseurs dans la solution.

« C’est ce qu’on veut. On connaît nos terrains. On peut faire la job et communique­r avec les agents de la faune », soutient-il.

Même constat pour Marc Ballard, qui habite aussi Boileau et qui dénonce la façon de gérer la crise par le gouverneme­nt.

« À quelques centaines de mètres de chez nous, les gens ont le droit de chasser, mais pas nous. On n’est pas des imbéciles. On va collaborer avec plaisir avec le gouverneme­nt », explique-t-il.

L’homme affirme avoir été averti par des agents de la faune de ne pas aller dans sa forêt de 218 acres et de ne pas y pratiquer toute forme de chasse jusqu’à nouvel ordre.

Québec sait depuis 2017 que la maladie du cerf fou est un danger public, mais ne semble pas avoir pris les mises en garde des scientifiq­ues fédéraux au sérieux.

Santé Canada a avisé les autres ministères et les provinces dès avril 2017 que la maladie débilitant­e chronique (MDC), qui a été détectée la semaine dernière dans un élevage de cerfs des Laurentide­s, « a le potentiel d’infecter les humains ».

C’est ce qu’indique un document interne obtenu par Le Journal et préparé par le Bureau des dangers microbiens, une entité de Santé Canada.

« Aucun tissu qui pourrait contenir des agents de MDC ni aucun morceau d’animal qui aurait montré des signes de maladie ne doit entrer dans la chaîne alimentair­e humaine ou animale », écrivent les scientifiq­ues, qui sonnent l’alarme.

On sait aussi que la maladie se transmet via les excréments par le sol ou l’eau contaminés.

Santé Canada appelait déjà à mettre en garde les population­s à risque, en particulie­r les chasseurs et les Premières Nations. Mais un an et demi plus tard, aucune campagne de sensibilis­ation n’a été lancée.

APPEL À LA PRUDENCE

Le document avait été motivé par une étude encore en cours dans un laboratoir­e de l’Agence canadienne d’inspection des aliments en Alberta, où des singes de laboratoir­e sont tombés malades après avoir consommé de la viande contaminée.

Jointe par Le Journal, la chercheuse Stefanie Czub, qui mène toujours l’expérience, indique que moins de la moitié des 21 primates qui participai­ent à l’expérience sont encore en vie.

« Aucun humain ne doit consommer des prions (les agents pathogènes à l’origine de la maladie) », insiste-t-elle. Elle appelle à la plus grande prudence, et met en garde les chasseurs.

La scientifiq­ue souligne qu’un animal peut sembler en parfaite santé, mais être porteur de la maladie, dont le temps d’incubation peut aller jusqu’à deux ans. Elle recommande aux chasseurs de faire tester chaque prise.

À ce jour, aucun cas humain de MDC n’a été documenté. Toutefois, il n’est pas exclu que le pathogène puisse passer la barrière des espèces et s’adapter à l’organisme humain, comme l’ont fait les prions à l’origine de la maladie de la vache folle.

CONDAMNER LA FERME

Pour éviter une épidémie, le docteur Michael Samuel, expert de la MDC au Wisconsin Cooperativ­e Wildlife Research Unit, où la maladie fait des ravages depuis des années, recommande que tout le cheptel de la ferme de Grenville-sur-la-Rouge soit abattu et que la ferme soit condamnée.

La Dre Czub est du même avis. Ils expliquent que le prion est extrêmemen­t résistant.

« Si vous ne vous en débarrasse­z pas rapidement, vous n’y arriverez jamais », prévient Michael Samuel.

Mais le ministère de l’Agricultur­e (MAPAQ) indique vouloir poursuivre son enquête avant « d’éliminer un troupeau au complet ».

« On est encore dans l’analyse des cas et de déterminer d’où la maladie pourrait venir », a dit le porte-parole du ministère Yohan Dallaire-Boily.

Le MAPAQ dit avoir testé toutes les bêtes en contact avec l’animal malade et toutes se sont révélées saines.

 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ?? PHOTO LE JOURNAL ?? pas de Même après une semaine de mise en quarantain­e, il n’y a toujours doubl e clôture afin d’éloigner les bêtes captives de celles en liberté.
PHOTO LE JOURNAL pas de Même après une semaine de mise en quarantain­e, il n’y a toujours doubl e clôture afin d’éloigner les bêtes captives de celles en liberté.
 ?? PHOTO LE JOURNAL ?? Les cerfs d’élevage de Grenville-sur-la-Rouge, où la maladie a été détectée la semaine dernière, sont près de la rivière Rouge. En mortaise, le cheptel se trouve à côté d’un ruisseau (entouré sur la photo aérienne). Ce ruisseau est situé à proximité de la rivière Rouge. On sait que la maladie peut se transmettr­e par l’eau.
PHOTO LE JOURNAL Les cerfs d’élevage de Grenville-sur-la-Rouge, où la maladie a été détectée la semaine dernière, sont près de la rivière Rouge. En mortaise, le cheptel se trouve à côté d’un ruisseau (entouré sur la photo aérienne). Ce ruisseau est situé à proximité de la rivière Rouge. On sait que la maladie peut se transmettr­e par l’eau.

Newspapers in French

Newspapers from Canada