Le Journal de Montreal

Une enquête bâclée a permis aux Bougon d’éviter la prison

Le ministère a obtenu de la preuve sans jamais avoir de mandat

- MICHAËL NGUYEN

La famille de réfugiés qui s’en est sortie avec clémence après avoir fraudé l’aide sociale pendant 12 ans était passée à deux doigts d’obtenir un arrêt des procédures en raison du travail « grossièrem­ent » bâclé d’un enquêteur.

« L’enquêteur a violé les droits des accusés en ayant grossièrem­ent omis de considérer toute la panoplie des droits [des accusés] », peut-on lire dans un document de cour déposé dans le dossier d’une famille digne de la série Les Bougon, c’est aussi ça la vie !

La fraude de Mohammed Ibrahim ainsi que de ses trois fils Shakib, Tanvir et Igbal Rahman a commencé en 1999, quand ils sont arrivés au Québec comme réfugiés du Bangladesh. En « mélangeant » leurs noms et prénoms et avec différente­s adresses postales, ils ont ainsi pu récolter plusieurs chèques d’aide sociale chacun, tous les mois.

Ils ont ainsi obtenu 236 000 $ illégaleme­nt, mais, à la suggestion des avocats, ils s’en sont sortis avec un remboursem­ent et des travaux communauta­ires. Les fils ont aussi obtenu l’absolution, c’est-à-dire l’absence de casier criminel.

La fraude a été découverte au moment de leur demande de citoyennet­é. Un fonctionna­ire a réalisé que plusieurs noms étaient rattachés à la même photo. Un enquêteur du ministère du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale [MTESS] s’est alors mis sur le dossier.

INFOS ILLÉGALES

Cet enquêteur a recueilli de la preuve, dont des contrats des suspects avec Postes Canada, leurs informatio­ns bancaires et même des détails confidenti­els auprès de l’Agence des services frontalier­s du Canada.

Le hic, c’est que toutes ces informatio­ns auraient été acquises illégaleme­nt.

« L’enquêteur n’a jamais demandé d’autorisati­on judiciaire ni aucun mandat au cours de son enquête, ont déploré les avocats Antonio Cabral et David Petranic dans une requête. La violation est trop grave pour ne pas être sanctionné­e. »

Les avocats ont demandé l’arrêt pur et simple des procédures. Mais elle n’a jamais été plaidée, puisque la Couronne aurait ensuite accepté de négocier, puis de consentir à des peines clémentes à condition que les accusés remboursen­t l’argent.

Pour les accusés, l’entente était aussi satisfaisa­nte, car même s’ils étaient convaincus d’avoir gain de cause, il y avait toujours un risque d’échouer et d’être condamnés à la prison.

COLLECTE DE FONDS

Selon nos informatio­ns, ce serait pour cette raison que le MTESS s’est dit « satisfait » du dénouement du dossier puisqu’il a quand même pu récupérer son argent.

Une partie des sommes provient d’une collecte de fonds par des proches au Bangladesh, d’après nos informatio­ns.

Le père de 48 ans, qui a maintenant un casier criminel, risque la déportatio­n si les services d’immigratio­n décident d’intenter des procédures. En raison de leur absolution, les fils, âgés de la trentaine, pourront vraisembla­blement rester au Canada. La mère, Zaheda Begum, elle aussi accusée, a été acquittée le jour où son mari a plaidé coupable.

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PHOTO D’ARCHIVES, CHANTAL POIRIER Mohammed Ibrahim accompagné de son avocat Antonio Cabral au palais de justice de Montréal en août.
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DAVID PETRANIC Avocat

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