Une campagne non « existentielle »
L’ancien premier ministre Jean Charest a livré un bilan de campagne électorale hier midi sur les ondes d’une radio.
Il n’a pas tenté de jouer au « gérant d’estrade » comme lors de son entrevue avec Nathalie Normandeau, le 20 août, où il avait osé certains reproches à son successeur.
Hier, il cherchait manifestement à ne rien dire de controversé.
Un de ses commentaires a toutefois attiré mon attention. La campagne, à ses yeux, n’a pas « été beaucoup sur les contenus. […] C’est frappant pour les gens de ma génération ». Il n’y a pas eu de « fil conducteur ».
Depuis le 23 août, c’est, il faut l’admettre, une impression courante, partagée et qui ne s’est pas démentie jusqu’à aujourd’hui.
SOUVERAINETÉ ÉVACUÉE
Normal, la question existentielle québécoise – souveraineté ou non ? – a été évacuée de cette campagne.
Le Parti québécois promettait de ne pas mettre en branle le processus avant 2022. Les libéraux ont en quelque sorte amplifié ce virage en se centrant exclusivement sur « la qualité de vie des Québécois ».
Les caquistes ont misé à fond sur l’alternance, ne voulant parler que de changement après les « 15 années » de gouverne libérale. Le rapport entre le Québec et le Canada, la place de la nation à l’intérieur du Canada étaient pour eux des sujets accessoires, voire tabous.
Quant à Québec solidaire, il a tenu un discours indépendantiste – surtout à Québec –, mais les probabilités qu’il fasse l’indépendance sont nulles à court terme. Donc sans effet sur l’esprit général de la campagne.
L’ÉTAT PRESTATAIRE DE SERVICES
Les changements climatiques, c’est existentiel, non ? m’a-t-on rétorqué récemment.
Certes, mais ce n’est pas un enjeu national. Et le Québec, avec son État, ne peut régler à lui seul cette question. On peut collectivement tenter de faire notre part ; montrer l’exemple.
Mais voilà : c’est précisément le type d’enjeu contemporain qui donne l’impression aux électeurs québécois que leur vote à ce palier de gouvernement ne peut avoir qu’un effet limité.
Sans compter que depuis le référendum de 1995, la façon dont on conçoit l’État au Québec a profondément évolué. Dans les années 1960 et 1970, c’était un outil d’émancipation.
Lors de la présente campagne, la conception de l’État tel un prestataire de services semblait généralisée. Il doit être efficace comme une entreprise ; les contribuables doivent en avoir pour leur argent. Point.
D’où les multiples annonces qui donnaient l’impression qu’on ne cherchait qu’à ajouter des fonctionnalités à un gros iPhone collectif ! Un souci ? Une difficulté ? On a une application pour ça ! (Remplacez ici le mot application par « promesse ».)
Le PQ n’a-t-il pas, dans cette campagne, carrément proposé de créer une application mobile, gérée par l’État, pour le covoiturage ?
ÉCLATEMENT
Pour expliquer ce qui nous arrive, j’ai soumis une hypothèse dans mon blogue le 27 août : l’internet, les médias sociaux, tout cela a fait éclater la conversation nationale et la nation elle-même en différents segments et sous-segments. Les grands rendez-vous médiatiques – journal du matin, émission radiophonique matinale, journaux télévisés du soir – existent encore, mais attirent des auditoires déclinants et vieillissants. Ils ont donc beaucoup moins d’effet sur la manière dont on « fait société ». Chacun se retrouve de plus en plus dans sa petite niche d’information, dans son fil Facebook, dans sa « chambre d’écho ». Vision de la société et du monde en découle. Les partis ont compris cela et tentent de s’y adapter. Au reste, Jean Charest peut bien s’étonner que la campagne de 2018 ait été « sans fil conducteur ». Lui-même a, de son arrivée à la tête du PLQ en 1998 jusqu’à sa défaite en 2012, travaillé à miner la question nationale et à réduire l’État québécois à un simple prestataire de services. Outre les changements technologiques, il a une part de responsabilité dans les phénomènes qu’il désigne.