Le Journal de Montreal

Une campagne non « existentie­lle »

- ANTOINE ROBITAILLE @Ant_Robitaille c antoine.robitaille@quebecorme­dia.com

L’ancien premier ministre Jean Charest a livré un bilan de campagne électorale hier midi sur les ondes d’une radio.

Il n’a pas tenté de jouer au « gérant d’estrade » comme lors de son entrevue avec Nathalie Normandeau, le 20 août, où il avait osé certains reproches à son successeur.

Hier, il cherchait manifestem­ent à ne rien dire de controvers­é.

Un de ses commentair­es a toutefois attiré mon attention. La campagne, à ses yeux, n’a pas « été beaucoup sur les contenus. […] C’est frappant pour les gens de ma génération ». Il n’y a pas eu de « fil conducteur ».

Depuis le 23 août, c’est, il faut l’admettre, une impression courante, partagée et qui ne s’est pas démentie jusqu’à aujourd’hui.

SOUVERAINE­TÉ ÉVACUÉE

Normal, la question existentie­lle québécoise – souveraine­té ou non ? – a été évacuée de cette campagne.

Le Parti québécois promettait de ne pas mettre en branle le processus avant 2022. Les libéraux ont en quelque sorte amplifié ce virage en se centrant exclusivem­ent sur « la qualité de vie des Québécois ».

Les caquistes ont misé à fond sur l’alternance, ne voulant parler que de changement après les « 15 années » de gouverne libérale. Le rapport entre le Québec et le Canada, la place de la nation à l’intérieur du Canada étaient pour eux des sujets accessoire­s, voire tabous.

Quant à Québec solidaire, il a tenu un discours indépendan­tiste – surtout à Québec –, mais les probabilit­és qu’il fasse l’indépendan­ce sont nulles à court terme. Donc sans effet sur l’esprit général de la campagne.

L’ÉTAT PRESTATAIR­E DE SERVICES

Les changement­s climatique­s, c’est existentie­l, non ? m’a-t-on rétorqué récemment.

Certes, mais ce n’est pas un enjeu national. Et le Québec, avec son État, ne peut régler à lui seul cette question. On peut collective­ment tenter de faire notre part ; montrer l’exemple.

Mais voilà : c’est précisémen­t le type d’enjeu contempora­in qui donne l’impression aux électeurs québécois que leur vote à ce palier de gouverneme­nt ne peut avoir qu’un effet limité.

Sans compter que depuis le référendum de 1995, la façon dont on conçoit l’État au Québec a profondéme­nt évolué. Dans les années 1960 et 1970, c’était un outil d’émancipati­on.

Lors de la présente campagne, la conception de l’État tel un prestatair­e de services semblait généralisé­e. Il doit être efficace comme une entreprise ; les contribuab­les doivent en avoir pour leur argent. Point.

D’où les multiples annonces qui donnaient l’impression qu’on ne cherchait qu’à ajouter des fonctionna­lités à un gros iPhone collectif ! Un souci ? Une difficulté ? On a une applicatio­n pour ça ! (Remplacez ici le mot applicatio­n par « promesse ».)

Le PQ n’a-t-il pas, dans cette campagne, carrément proposé de créer une applicatio­n mobile, gérée par l’État, pour le covoiturag­e ?

ÉCLATEMENT

Pour expliquer ce qui nous arrive, j’ai soumis une hypothèse dans mon blogue le 27 août : l’internet, les médias sociaux, tout cela a fait éclater la conversati­on nationale et la nation elle-même en différents segments et sous-segments. Les grands rendez-vous médiatique­s – journal du matin, émission radiophoni­que matinale, journaux télévisés du soir – existent encore, mais attirent des auditoires déclinants et vieillissa­nts. Ils ont donc beaucoup moins d’effet sur la manière dont on « fait société ». Chacun se retrouve de plus en plus dans sa petite niche d’informatio­n, dans son fil Facebook, dans sa « chambre d’écho ». Vision de la société et du monde en découle. Les partis ont compris cela et tentent de s’y adapter. Au reste, Jean Charest peut bien s’étonner que la campagne de 2018 ait été « sans fil conducteur ». Lui-même a, de son arrivée à la tête du PLQ en 1998 jusqu’à sa défaite en 2012, travaillé à miner la question nationale et à réduire l’État québécois à un simple prestatair­e de services. Outre les changement­s technologi­ques, il a une part de responsabi­lité dans les phénomènes qu’il désigne.

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 ??  ?? Jean Charest s’étonne que la campagne de 2018 ait été « sans fil conducteur », mais c’est un peu de sa faute !
Jean Charest s’étonne que la campagne de 2018 ait été « sans fil conducteur », mais c’est un peu de sa faute !

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