Le Journal de Montreal

La guerre civilisée

CLAUDE VILLENEUVE

- CLAUDE VILLENEUVE

Enfant, j’avais beau être à l’âge d’écouter La Guerre des tuques en boucle, j’étais déjà fasciné par les journées d’élections. Toutes ces femmes et tous ces hommes qui, ayant entendu l’appel, se rendent sobrement aux urnes pour déposer leur voix, après que le débat a fait rage pendant des semaines.

Mes parents allaient toujours voter ensemble, après le boulot. Mon père rentrait plus tôt et gardait son complet d’avocat et ma mère troquait son uniforme d’infirmière et se mettait sur son trente-six pour aller poser ce geste solennel, à l’école primaire où j’avais eu congé.

J’avais si hâte d’avoir le droit de faire comme eux.

Alors que je vis pour la première fois depuis longtemps une campagne sans me trouver dans les tranchées, j’ai décidé d’organiser ma journée qui s’annonce intense de manière à pouvoir aller voter avec ma blonde, quand elle sortira du travail. Je veux m’offrir la satisfacti­on de vivre ce moment si éphémère en démocratie de la manière la plus formelle possible.

Et pour me souvenir que dans la politique, il y a l’amour. C’est parce qu’on croit en notre collectivi­té que l’on continue de s’y consacrer.

FUTILE, MAGNIFIQUE, DRAMATIQUE

C’est beaucoup ce qui m’a amené jadis à m’impliquer en politique, cette effervesce­nce marquée de gravité qui se fait sentir, le jour des élections. J’avais neuf ans, mon oncle se présentait comme conseiller municipal et j’étais hypnotique devant le va-et-vient des travailleu­rs d’élections qui rapportaie­nt les fameuses « feuilles bingo » qui permettent de savoir qui n’est pas encore sorti voter.

J’ai connu plus tard les soirées électorale­s amères. Ces moments où l’on se dit : « Bien si les gens sont assez caves pour avoir choisi un tel, ils vivront avec ! » J’ai plus tard appris qu’on en revient et que la Terre continue de tourner. Le Québec continue d’exister.

J’ai fait de la politique juste pour ça, pendant quinze ans. Juste pour l’attente de cette journée où une photo de ce que nous sommes définira comment nous serons gouvernés pendant quatre ans. C’est à la fois futile, magnifique et terribleme­nt dramatique.

Les cyniques aiment y voir une foule de moutons faisant la file pour décider qui gagnera le privilège de les tondre. Les anarchiste­s y verront un simulacre de démocratie, illusion de liberté destinée à légitimer des autorités élues. Dans un cas comme dans l’autre, il ne faut pas oublier que voter ne nous dédouane pas de s’occuper de nos affaires et de participer à la vie civique de manière continue ; ce n’est pas non plus la seule action de faire son X qui procure le proverbial droit de chialer. La politique n’est pas le fait d’un simple geste.

FAIRE SOCIÉTÉ

C’est ce que j’ai toujours vu dans le jour du vote. C’est le moment de faire société à nouveau, de se réconcilie­r. Un des derniers qui restent, en fait, en cette ère de télé en différé et de réseaux sociaux qui nous enferment dans des chambres d’échos où nous n’entendons plus que la voix de ceux qui pensent déjà comme nous.

Aujourd’hui, nous serons des millions à nous rendre dans des lieux communauta­ires que nous fréquenton­s trop peu pour nous organiser comme groupe. Nous sortons d’une campagne qui nous aura encore un peu divisés. C’est justement à cela qu’elles servent. À gérer nos différence­s de manière civilisée. En faisant la file pour voter plutôt qu’en se cognant sur la gueule. En se rappelant qu’on s’aime.

39 jours, ça peut paraître long. Comme dans La Guerre des tuques, l’amour a pris son temps.

Cet après-midi, quand les gens rentreront du travail, je mettrai mes beaux habits pour aller voter. Je me rappellera­i que j’appartiens à cette nation nommée Québec et que ceux qui seront choisis sont le résultat de ce que nous sommes.

Et si je ne suis pas content du résultat, je me rappellera­i que c’est la décision que nous avons prise. Ensemble.

C’est ce que j’ai toujours vu dans le jour du vote. C’est le moment de faire société à nouveau, de se réconcilie­r.

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