Le Journal de Montreal

De l’urine de cerf contaminée pourrait être en vente libre

Des profession­nels appellent Québec à bannir ce produit pour protéger le cheptel

- ANNE CAROLINE DESPLANQUE­S Le Journal de Montréal – Avec la collaborat­ion de Stéphane Sinclair

Les chasseurs québécois pourraient utiliser sans le savoir de l’urine de cerf potentiell­ement contaminée comme leurre, alors qu’elle est interdite chez nos voisins afin d’empêcher la propagatio­n de la maladie du cerf fou.

L’urine, comme la salive et les excréments, est l’un des fluides dans lesquels sont concentrés les agents pathogènes de la maladie débilitant­e chronique (MDC) du cervidé, les prions.

Or, cette substance naturelle est couramment utilisée par les chasseurs pour attirer leurs proies et masquer leur propre odeur.

« Dans le bois, on en trouve partout. C’est comme les vers pour la pêche. Les quincaille­ries, les dépanneurs, même les stations-service en vendent », explique la guide de chasse Sophie Rossard.

Pour éviter que les chasseurs répandent la maladie malgré eux, la Nouvelle-Écosse, l’Ontario et six États américains, dont le Vermont, ont interdit l’urine véritable et forcé l’utilisatio­n de produits synthétiqu­es.

Le gouverneme­nt du Québec devrait faire de même, selon Jacques Monette, qui fabrique des leurres à Amherst près de Mont-Tremblant, à 2 kilomètres de la zone rouge qui entoure la ferme où a été découvert le premier cas de MDC au Québec.

Son entreprise, la ferme Monette Outdoor’s, a spontanéme­nt cessé la production et distributi­on d’urine ces derniers jours, devant la menace de la maladie. Ce produit ne représenta­it que 5 % de la production de la compagnie, qui favorise les leurres synthétiqu­es.

PAS DE TEST POSSIBLE

« Il n’y a actuelleme­nt aucun moyen d’assurer que les leurres à base d’urine ne contiennen­t pas de prions », indique le Départemen­t de conservati­on environnem­ental de l’État de New York.

L’urine est produite par les fermes de cervidés. Comme aucun test ne permet de savoir si un animal vivant est atteint par la MDC, une bête asymptomat­ique pourrait produire des litres et des litres d’urine contaminée incognito.

Bien que l’urine pure contienne relativeme­nt peu de prions, elle est mélangée à des excréments lors de la collecte. Ces excréments contiennen­t eux une grande concentrat­ion d’agents pathogènes que les filtres sont incapables de retenir.

Aux États-Unis, les industriel­s de l’urine assurent prendre toutes les précaution­s pour que leurs produits soient sûrs. Tink’s Lures par exemple indique ne s’approvisio­nner qu’auprès de fermes qui n’ont eu aucun cas de MDC en cinq ans.

AUCUNE TRAÇABILIT­É

Mais, « les leurres d’urine sont le plus souvent des mélanges provenant de différente­s sources, donc les chasseurs n’ont aucun moyen de savoir d’où provient le produit », souligne la Dre Krysten Schuler, de l’Université Cornell, dans un avis transmis à l’État du Vermont.

« Le premier cas de MDC en Pennsylvan­ie a été enregistré dans une ferme de cerfs certifiée sans MDC qui vendait des leurres en ligne », poursuit la scientifiq­ue du départemen­t de médecine vétérinair­e de cette université de l’État de New York.

Devant les mises en garde des scientifiq­ues, Mme Rossard appelle Québec à agir vite.

« Le gouverneme­nt dort au gaz. Il va falloir qu’il se réveille rapidement, parce que les gens sont dans la forêt, là ».

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PHOTO D’ARCHIVES Les bêtes du gigantesqu­e élevage de Grenville-sur-la-Rouge touchées par la maladie débilitant­e chronique des cervidés sont toujours aussi accessible­s et à proximité (en contact) avec tout ce qui se trouve à l’extérieur de l’enclos.
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JACQUES MONETTE Propriétai­re d’une ferme

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