Le Journal de Montreal

Ils font tout pour apprendre le français

Un professeur de francisati­on se dit époustoufl­é par la déterminat­ion de ses élèves qui viennent d’arriver au Québec

- CAMILLE GARNIER Le Journal de Montréal

De nouveaux arrivants cumulent cours de français le jour et travail la nuit pour s’intégrer le plus vite possible dans la Belle Province, à la grande fierté de leur enseignant de francisati­on.

« Mes élèves, je les admire beaucoup, affirme le professeur de français Louis Saucier. Se retrouver déraciné dans un pays dont on ne connaît rien et apprendre une nouvelle langue en tant qu’adulte, cela demande un courage inimaginab­le. »

M. Saucier donne des cours de francisati­on au sein de l’annexe Bourassa à Longueuil.

Ce bâtiment, ouvert en janvier, accueille des adultes de tout âge récemment arrivés au Québec, pour des cours de francisati­on.

DEMANDEURS D’ASILE

La vingtaine d’élèves que prend en charge M. Saucier ont en moyenne une trentaine d’années. Ce sont surtout des demandeurs d’asile ou des réfugiés, provenant de pays comme le Venezuela, le Nigeria ou le Congo.

Ils suivent un programme de 10 semaines, qui leur offre des cours durant toute la journée du lundi au vendredi.

« Ce qui est impression­nant, c’est qu’environ un tiers d’entre eux travaillen­t le soir, explique le professeur. Ils finissent les cours à 4 h et, à 5 h, ils commencent leur shift de nuit dans un restaurant ou une usine. »

SIX HEURES DE SOMMEIL

C’est le cas d’Abdul Jabbar, un Afghan de 44 ans arrivé légalement au Québec en janvier avec sa femme et ses trois enfants, après avoir été parrainé par sa soeur qui vit ici.

En plus de suivre les cours de M. Saucier, Abdul, qui a quitté le Pakistan où il était installé pour fuir la répression policière, travaille plusieurs soirs par semaine de 17 h à minuit dans un buffet grec de la Rive-Sud.

« Je ne dors que six heures par nuit, mais ce n’est pas grave, j’aime le travail » explique-t-il en anglais.

Le diplômé en gestion des affaires au Pakistan aspire cependant à décrocher un poste relié à son domaine de compétence.

« C’est pour ça que je veux apprendre le français rapidement, pour avoir un emploi plus qualifié, lance-t-il. Je ne sais pas encore à quoi ressembler­a l’avenir, mais je vais essayer de faire ma place ici. »

FAMILLE

La femme et les enfants de M. Jabbar apprennent le français dans des établissem­ents différents.

Mais certains élèves de la classe de M. Saucier suivent les cours en famille.

« J’étudie avec mon père et ma mère, explique Gianitza Tusa, une demandeuse d’asile vénézuélie­nne de 19 ans, entrée irrégulièr­ement au Canada en février avec ses parents, son frère et sa soeur. Pour ma mère, c’est plus difficile, car elle n’a jamais appris une autre langue que l’espagnol, alors que moi je connais déjà l’anglais. »

Après six semaines de cours et contrairem­ent à sa fille, Yelitza Tusa peine encore à s’exprimer en français.

Lorsqu’on lui demande pourquoi elle veut apprendre la langue de Molière, la femme d’une quarantain­e d’années pose sa main sur son coeur et s’adresse à sa fille en espagnol.

« Elle se sent isolée, car elle ne peut parler à personne pour l’instant, traduit Gianitza. Au Venezuela, elle était enseignant­e d’école et elle voudrait continuer de travailler avec les enfants ici. Elle aime beaucoup les petits, c’est ce qui la rend heureuse. »

CULTURE

En plus des obstacles liés à l’apprentiss­age de la langue et à la fatigue des élèves cumulant travail et école, M. Saucier doit aussi faire face à des barrières culturelle­s dans sa classe, dont les élèves viennent des quatre coins du monde.

Il l’a encore constaté récemment, lorsqu’il a utilisé l’image d’une femme en tenue de bain pour illustrer un mot.

« J’ai vu mes élèves arabes se cacher les yeux, raconte-t-il. J’étais un peu mal à l’aise, mais ils m’ont tout de suite rassuré. Ils m’ont dit : “ici, on est au Canada, c’est à nous de s’adapter”. Et ce qui m’a fait le plus plaisir, c’est qu’ils me l’ont dit en français. »

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