Un ex-ministre qui n’a rien perdu de son mordant
À l’aube de ses 79 ans, Guy Chevrette déplore le manque de profondeur de la scène politique
QUÉBEC | En retrait de la sphère publique depuis un an, Guy Chevrette n’en a pas pour autant perdu son mordant. Critique, il se désole du manque de profondeur et de conviction qui domine selon lui la scène politique au Québec, comme ailleurs en Occident.
À l’aube de ses 79 ans, celui qui a occupé différents ministères au cours de ses 26 ans de carrière de député suit toujours de près ce qui se passe sur la scène politique québécoise. Entre deux séjours de pêche, une grande passion, cet enseignant de formation continue de réfléchir à la société et à son avenir, qu’il a toujours eu très à coeur.
Doté d’un bouillant caractère, qui lui a valu comme politicien les surnoms de « ti-coq » et du « tigre », Guy Chevrette ne passe jamais par quatre chemins pour exprimer sa façon de penser.
« Je suis franc, bête, tout le monde me dit ça. Mais les gens me disent aussi qu’ils savent au moins ce que je pense, que je vais leur donner l’heure juste. »
M. Chevrette a entendu ce commentaire pendant les dernières élections, en faisant son marché, où les gens ont l’habitude de l’arrêter pour jaser de politique. « Ils me disent qu’ils s’ennuient de gens comme nous, parce qu’ils ont l’impression que les politiciens ne jouent que sur l’image, et non pas sur le contenu. »
COHÉRENCE
Cet allié de la première heure de René Lévesque rappelle que, quand il s’est présenté, en 1976, l’équipe avait bâti ses engagements électoraux avec les groupes concernés, et s’assurait ainsi d’une cohérence et d’une résonance.
Une fois au pouvoir, les péquistes ont mis en place de nombreuses lois charnières : sur le zonage agricole, antiscab, aménagement du territoire et création des MRC, assurance automobile, langue française, énumère-t-il.
« Tout le monde connaissait ces engagements, on y a cru, on les a vendus et ils étaient très réfléchis, mais aujourd’hui, demandez à la population de nommer trois engagements de chacun des partis : ceux-ci n’ont pas été expliqués pendant la campagne. »
CAMPAGNES D’IMAGES
Les partis misent trop sur les médias sociaux, considère ce vieux routier. La presse contribue aussi selon lui à ce phénomène, où l’image est reine, en opposant tous les autres partis dès la déclaration d’engagements.
Il en résulte des confrontations en séries qui font la nouvelle, mais « ça empêche de discuter du fond, observe M. Chevrette. Si bien qu’aujourd’hui, on vote pour se débarrasser d’un parti, sur le charisme d’un chef, sans nécessairement avoir le contenu. »
Il donne l’exemple de François Legault qui ne savait pas que le Nouveau-Brunswick est la seule province officiellement bilingue au Canada. « Je ne suis pas sûr que, dans notre temps, ça aurait passé […] C’est triste, mais regardez ce qui se passe aux États-Unis et dans plusieurs pays européens… »
Il attribue également les difficultés qu’éprouve le nouveau premier ministre à préciser sa position sur l’immigration à ce manque de profondeur. « C’est mal expliqué, mal perçu, peut-être mal conçu même dans sa tête », opine-t-il.
COMPARAISON FAUSSÉE
L’ex-ministre rigole lorsque viennent à ses oreilles des comparaisons entre l’équipe de M. Legault et celle de M. Lévesque, en 1976.
Il souligne néanmoins la qualité des élus que sont Geneviève Guilbault, Christian Dubé et Simon Jolin-Barrette, qui « peuvent aller loin s’ils tiennent le coup ».
Mais M. Chevrette critique l’ambivalence de François Legault sur la souveraineté. « Ce n’est pas de l’ambivalence, mais une absence d’idées, dit-il. Il m’avait traité de souverainiste lent, mais je n’ai pas encore troqué mes convictions pour mes ambitions. »