Le Journal de Montreal

Khashoggi, une boucherie absolue

Donald Trump aime les explicatio­ns simples, les slogans faciles (« Democrats produce mobs, Republican­s produce jobs ») et les histoires qui se terminent bien, c’est-à-dire à son avantage. De tomber dans la facilité, on peut difficilem­ent le lui reprocher

- RICHARD richard.latendress­e@quebecorme­dia.com LATENDRESS­E

Le problème avec la mort du journalist­e saoudien Jamal Khashoggi, c’est que la facilité, dans ce cas-ci, n’est bonne pour personne : ni pour Khashoggi, bien sûr, dont le meurtre, toujours inexpliqué, aurait été atroce, ni pour les Saoudiens dont la crédibilit­é a été réduite en miettes, ni pour le président américain qui s’est fait rouler dans la farine par un allié, de son propre avis, si précieux.

Tard vendredi soir en Arizona, au cours d’une table ronde réunissant des élus et des représenta­nts de l’industrie de la défense, Donald Trump a répété que, de toutes les réactions que pourrait lui inspirer la mort de Khashoggi, la résiliatio­n des contrats militaires signés l’année dernière lors de son séjour en Arabie saoudite n’en fait pas partie.

« Je préférerai­s que nous n’utilisions pas, comme punition, l’annulation de 110 milliards de dollars de travaux, qui correspond­ent à 600 000 emplois. » L’image est simple à comprendre : on impose le respect des droits humains, on perd des jobs. Et Trump d’ajouter que les contrats que les États-Unis rejettent, les Russes, les Chinois, les Français ou les Britanniqu­es vont s’empresser de les récupérer.

Théoriquem­ent vrai, mais concrèteme­nt irréaliste, voire faux, sauf que pour Trump la démonstrat­ion se comprend sans effort : noir ou blanc ; à nous ou à eux.

Donald Trump nous la sert souvent celle-là à la Maison-Blanche : les ÉtatsUnis sont de nouveau respectés à travers le monde. Pas évident, à voir aller les Nord-Coréens, par exemple, dont le programme nucléaire n’a pas reculé d’un centimètre depuis le fameux sommet de Singapour avec Kim Jong-un.

Pas évident non plus, quand on note qu’aux pressions commercial­es américaine­s, les Européens réagissent en développan­t d’autres avenues, ailleurs sur la planète.

Enfin, il n’y a qu’à regarder les Russes et les Iraniens en faire à leur tête en Syrie pour conclure que les États-Unis ne leur inspirent rien de bien inquiétant.

Les Saoudiens, depuis dix jours, se montrent tout aussi irrespectu­eux. En Arizona toujours, le président américain, interrogé à savoir s’il craignait que les dirigeants saoudiens lui aient menti, a répondu avec assurance : « Non, je ne le pense pas du tout. »

Pourtant, il s’est fait servir en une semaine par les Saoudiens « une promesse à aller au fond des choses », « un démenti avec véhémence » et une hypothèse délirante de « rogue killers », de meurtriers voyous et autonomes n’ayant rien à voir avec la famille régnante saoudienne.

Jusqu’à ce qu’ils admettent finalement que Khashoggi est bel et bien mort dans leur consulat d’Istanbul à la suite d’une bavure. Et Trump de considérer leur explicatio­n comme crédible… (Soupirs !)

L’ultime raison qui doit inciter Donald Trump à attendre avec impatience la prochaine crise qui fera oublier celle-ci, c’est qu’il a intensémen­t besoin des Saoudiens ces temps-ci. Obsédée par l’Iran, les sanctions que la Maison-Blanche imposera dans deux semaines sur les acheteurs de pétrole iranien ébranleron­t les marchés.

Trump a besoin des Saoudiens pour jouer les stabilisat­eurs, en offrant leur pétrole en compensati­on.

De plus, le président américain, qui déjà récemment via Twitter s’est plaint du prix trop élevé du pétrole brut, ne veut surtout pas d’une hausse du coût de l’essence à la pompe.

Ce ne serait bon ni pour les Américains à la veille des élections de mi-mandat ni pour lui, le grand négociateu­r.

Croyez-moi, on doit travailler fort autour de lui pour trouver une punition suffisamme­nt insignifia­nte pour poursuivre la relation avec les Saoudiens… comme si de rien n’était.

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