Le Journal de Montreal

Les dessous du métier de recruteur

- MARC DE FOY marc.defoy@quebecorme­dia.com

Le rôle de recruteur demande un investisse­ment total de sa personne. Ainsi, Alain Chainey estime avoir vécu l’équivalent de cinq années dans des chambres d’hôtel. Ça représente 1825 nuitées loin de la maison. C’est bon pour les programmes de fidélité, mais ça use son homme. De plus, ça demande l’appui et la compréhens­ion de madame et des enfants. Ça fait partie de la définition de tâche.

« Ce n’est pas en restant à la maison que tu vas bien faire ton travail », invoque Chainey.

« Or, tu es tellement passionné par ton métier que tu oublies les obligation­s que ça implique. »

HISTOIRES À PARTAGER

Ça fait beaucoup d’histoires à raconter. C’est ce que Chainey a décidé de faire dans une biographie intitulée Alain Chainey, souvenirs d’un recruteur, publiée par les Éditions La Semaine. L’ancien directeur du recrutemen­t des Ducks d’Anaheim s’est confié à Frédéric Lord, polyvalent descripteu­r de TVA Sports pour les matchs de l’Impact et de la Ligue nationale de hockey, notamment.

Chainey a roulé sa bosse pendant un quart de siècle dans l’univers de la LNH. D’abord avec les Nordiques à titre d’entraîneur adjoint sous André Savard, Ron Lapointe, Jean Perron et Michel Bergeron, puis en tant que recruteur à temps partiel.

Il s’est ensuite joint aux Mighty Ducks d’Anaheim, pour qui il a été dépisteur à temps plein pendant trois ans avant d’être promu au poste de directeur du recrutemen­t amateur. Il a occupé ce poste durant une douzaine d’années avant de remplir les fonctions de directeur du développem­ent des joueurs de l’organisati­on.

DE TOUS LES GENRES

L’homme de 66 ans, originaire de Thetford Mines, sait tout ce qu’il y a à savoir d’un joueur de hockey. Il en a vu de toutes les sortes. Des mordus comme des égocentriq­ues.

Le pire joueur qu’il a jamais auditionné est Nikita Filatov. Quand il s’est assis devant Chainey et son personnel de recruteurs, Filatov a demandé quel était le rang de sélection des Ducks au premier tour (c’était en 2008). En apprenant que les Ducks choisissai­ent en huitième place, l’attaquant russe a répondu avec désinvoltu­re qu’il serait repêché bien avant.

La réponse de Chainey a été cinglante. « Tu perds ton temps et tu nous fais perdre le nôtre. Tu peux t’en aller. »

Il a avisé son directeur général Brian Burke qu’il ne repêcherai­t pas Filatov même s’il était disponible au rang que détenaient les Ducks.

Comme il l’avait prédit lui-même, Filatov a été réclamé plus tôt, précisémen­t en sixième place par les Blue Jackets de Columbus. Sa carrière dans la LNH s’est résumée à 53 matchs, soit 44 avec les Blue Jackets et 9 avec les Sénateurs d’Ottawa. Il poursuit sa carrière dans la KHL depuis huit ans et il ne casse rien.

COMME SES ENFANTS

Comme tout recruteur, Chainey s’attachait aux joueurs qu’il repêchait.

« Je les considérai­s comme s’ils étaient mes enfants », me dit-il.

Il a eu des sueurs froides lorsque Bryan Murray, un des cinq directeurs généraux pour lesquels il a oeuvré durant ses 20 ans à l’emploi des Ducks, l’a appelé pour lui dire qu’il s’apprêtait à échanger Corey Perry aux Oilers d’Edmonton en retour de Mike Comrie, qui était en dispute contractue­lle avec son équipe.

Chainey se trouvait dans la municipali­té ontarienne de Guelph, ce jour-là. Après une période du match qui figurait à sa tournée, il a quitté l’aréna pour aller prendre un verre. La transactio­n est finalement tombée à l’eau, à son grand soulagemen­t.

Mais c’est avec tristesse qu’il avait vu partir Oleg Tverdovsky, deuxième choix du repêchage de 1994 derrière Ed Jovanovski et Chad Kilger, quatrième choix de la cuvée 1995, dans une transactio­n qui a permis aux Ducks de mettre la main sur Teemu Selanne.

Comme il le souligne, cet échange a merveilleu­sement servi la cause des Ducks, qui ont tout de même échangé Selanne aux Sharks de San Jose cinq ans plus tard avant de le rapatrier pour les neuf dernières saisons de sa glorieuse carrière.

« On tient aux espoirs que l’on repêche », dit Chainey.

« En ce sens, je sais comment Trevor Timmins a pu se sentir quand Bob Gainey a échangé Ryan McDonagh contre Scott Gomez. Mais il ne faut pas se laisser emporter par ses émotions.

C’est normal qu’un directeur général échange un joueur que tu as repêché. Il faut comprendre les besoins d’une transactio­n. Tu t’y fais en vieillissa­nt. Ça s’inscrit dans la normalité du milieu dans lequel on travaille. »

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PHOTO D’ARCHIVES Alain Chainey a roulé sa bosse pendant un quart de siècle dans l’univers de la LNH.
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