Quand la démocratie se tire dans le pied
La démocratie brésilienne, une des plus fringantes d’Amérique latine, s’apprête à porter au pouvoir un mal-engueulé, raciste, sexiste et homophobe. Le candidat de gauche a récemment repris du poil de la bête dans les sondages, mais rien ne semble pouvoir arrêter Jair Bolsonaro, le représentant de l’extrême droite.
Bolsonaro est ce qui prospère sur le fumier du désespoir : les Brésiliens ont été poussés à bout par la pire récession de l’histoire du pays, une corruption politique qui n’a épargné aucun parti et une violence quotidienne à glacer le sang.
En désespoir de cause, dans un grand geste collectif de protestation – si les 55 % à 60 % des voix que lui donnent les sondages se confirment – les électeurs brésiliens vont remettre le pouvoir à un des politiciens les plus outranciers qu’on ait entendus dans notre hémisphère.
Le candidat de 63 ans justifie, par exemple, l’iniquité salariale (« Les femmes tombent enceintes, puis profitent de congés de maternité »), abhorre les homosexuels (il préférerait un fils mort à un fils gay), parsème son humour de références au viol (« Elle ne mérite pas d’être violée, elle est très laide »), tout en avouant une nostalgie pour la dictature militaire et ses méthodes fortes pour mettre la société au pas.
UNE LARGE FAMILLE POLITIQUE
C’est d’ailleurs un vieux slogan qui reprend du service ces jours-ci : la loi et l’ordre. Donald Trump le sert et ressert à tous ses rassemblements, affirmant que c’est ce qui – avec la nomination de Brett Kavanaugh à la Cour suprême des États-Unis et la « menace » de la caravane de migrants qui monte d’Amérique centrale – va ultimement motiver les électeurs républicains dans moins de dix jours aux élections de mi-mandat.
L’image revient constamment : « Bolsonaro, le Trump brésilien ». Les deux sont des « outsiders » : Bolsonaro, un obscur politicien en marge du pouvoir pendant 27 ans ; Trump, un milliardaire de l’immobilier. Tous les deux sont aussi des populistes qui n’hésitent pas à éveiller des passions malsaines chez les électeurs et promettent des solutions simplistes à des problèmes complexes.
Plusieurs observateurs relèvent toutefois que Bolsonaro montre davantage d’atomes crochus avec un autre leader populiste, Rodrigo Duterte des Philippines, qu’avec le président américain. Leurs discours, anti-élites, s’avèrent pareillement crus, intolérants et misogynes. Plus remarquable encore, ils partagent une volonté de combattre le feu par le feu et de donner plein pouvoir aux forces de l’ordre pour combattre la criminalité.
Aux Philippines, Duterte est passé à l’acte, sa guerre aux trafiquants et aux consommateurs de drogue ayant fait des milliers de victimes sans même que les tribunaux ne s’en soient mêlés. Tout à fait dans l’esprit de ce qu’entrevoit Bolsonaro.
DES SOCIÉTÉS PROFONDÉMENT DIVISÉES
Le moins que l’on puisse dire, c’est que ces gouvernements nationaux-populistes, comme on les appelle, peinent à unifier leurs citoyens. On le voit avec Matteo Salvini en Italie et, bien sûr, aux États-Unis avec Donald Trump, où les militants politiques perçoivent « les autres » comme des ennemis et non plus seulement des rivaux. Au Brésil, 40 % des votants jurent qu’ils ne choisiront jamais Jair Bolsonaro. Avec son ton déjà peu rassembleur, ce sont des années de rage et d’affrontements qui s’annoncent là-bas.
Michael Moore, le documentariste provocateur, avait prédit avant l’élection présidentielle de novembre 2016 – et finalement avec justesse – que l’élection de Donald Trump allait être le « plus gros Fuck You de l’histoire du monde », un fuck you de la part de tous ceux qui se sentent délaissés par leurs politiciens, oubliés par la reprise économique et visés par l’insécurité et les « étranges ». Faute, de toute évidence, d’alternative crédible, c’est le même cri primal que lance à son tour le Brésil.