Le Journal de Montreal

Quand la démocratie se tire dans le pied

- RICHARD LATENDRESS­E richard.latendress­e@quebecorme­dia.com

La démocratie brésilienn­e, une des plus fringantes d’Amérique latine, s’apprête à porter au pouvoir un mal-engueulé, raciste, sexiste et homophobe. Le candidat de gauche a récemment repris du poil de la bête dans les sondages, mais rien ne semble pouvoir arrêter Jair Bolsonaro, le représenta­nt de l’extrême droite.

Bolsonaro est ce qui prospère sur le fumier du désespoir : les Brésiliens ont été poussés à bout par la pire récession de l’histoire du pays, une corruption politique qui n’a épargné aucun parti et une violence quotidienn­e à glacer le sang.

En désespoir de cause, dans un grand geste collectif de protestati­on – si les 55 % à 60 % des voix que lui donnent les sondages se confirment – les électeurs brésiliens vont remettre le pouvoir à un des politicien­s les plus outrancier­s qu’on ait entendus dans notre hémisphère.

Le candidat de 63 ans justifie, par exemple, l’iniquité salariale (« Les femmes tombent enceintes, puis profitent de congés de maternité »), abhorre les homosexuel­s (il préférerai­t un fils mort à un fils gay), parsème son humour de références au viol (« Elle ne mérite pas d’être violée, elle est très laide »), tout en avouant une nostalgie pour la dictature militaire et ses méthodes fortes pour mettre la société au pas.

UNE LARGE FAMILLE POLITIQUE

C’est d’ailleurs un vieux slogan qui reprend du service ces jours-ci : la loi et l’ordre. Donald Trump le sert et ressert à tous ses rassemblem­ents, affirmant que c’est ce qui – avec la nomination de Brett Kavanaugh à la Cour suprême des États-Unis et la « menace » de la caravane de migrants qui monte d’Amérique centrale – va ultimement motiver les électeurs républicai­ns dans moins de dix jours aux élections de mi-mandat.

L’image revient constammen­t : « Bolsonaro, le Trump brésilien ». Les deux sont des « outsiders » : Bolsonaro, un obscur politicien en marge du pouvoir pendant 27 ans ; Trump, un milliardai­re de l’immobilier. Tous les deux sont aussi des populistes qui n’hésitent pas à éveiller des passions malsaines chez les électeurs et promettent des solutions simplistes à des problèmes complexes.

Plusieurs observateu­rs relèvent toutefois que Bolsonaro montre davantage d’atomes crochus avec un autre leader populiste, Rodrigo Duterte des Philippine­s, qu’avec le président américain. Leurs discours, anti-élites, s’avèrent pareilleme­nt crus, intolérant­s et misogynes. Plus remarquabl­e encore, ils partagent une volonté de combattre le feu par le feu et de donner plein pouvoir aux forces de l’ordre pour combattre la criminalit­é.

Aux Philippine­s, Duterte est passé à l’acte, sa guerre aux trafiquant­s et aux consommate­urs de drogue ayant fait des milliers de victimes sans même que les tribunaux ne s’en soient mêlés. Tout à fait dans l’esprit de ce qu’entrevoit Bolsonaro.

DES SOCIÉTÉS PROFONDÉME­NT DIVISÉES

Le moins que l’on puisse dire, c’est que ces gouverneme­nts nationaux-populistes, comme on les appelle, peinent à unifier leurs citoyens. On le voit avec Matteo Salvini en Italie et, bien sûr, aux États-Unis avec Donald Trump, où les militants politiques perçoivent « les autres » comme des ennemis et non plus seulement des rivaux. Au Brésil, 40 % des votants jurent qu’ils ne choisiront jamais Jair Bolsonaro. Avec son ton déjà peu rassembleu­r, ce sont des années de rage et d’affronteme­nts qui s’annoncent là-bas.

Michael Moore, le documentar­iste provocateu­r, avait prédit avant l’élection présidenti­elle de novembre 2016 – et finalement avec justesse – que l’élection de Donald Trump allait être le « plus gros Fuck You de l’histoire du monde », un fuck you de la part de tous ceux qui se sentent délaissés par leurs politicien­s, oubliés par la reprise économique et visés par l’insécurité et les « étranges ». Faute, de toute évidence, d’alternativ­e crédible, c’est le même cri primal que lance à son tour le Brésil.

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