Des maires et des citoyens attendent toujours l’UPAC
Tous s’impatientent devant des enquêtes qui ne débouchent pas
Révélations explosives à la commission Charbonneau il y a plus de trois ans, témoins crédibles qui ont reconnu avoir participé à la collusion... mais toujours aucune nouvelle des enquêtes policières. Plusieurs municipalités du Québec se demandent si elles n’ont pas été oubliées par l’Unité permanente anticorruption malgré les dénonciations.
Oui, il y a eu du ménage à Montréal, Laval et Terrebonne, mais ailleurs, élus et citoyens se demandent de plus en plus ouvertement ce qu’il advient des dénonciations faites à l’UPAC, comme en font foi les témoignages recueillis ces derniers mois par notre Bureau d’enquête.
« J’ai l’impression que l’UPAC dort sur le dossier », se désole JeanClaude Hébert, un ancien maire de Saint-Jérôme ( àlire en page 41 ).
« On est dans le néant, malheureusement », déplore Louis Lamarre, un ancien conseiller municipal de Blainville (page 45).
« Ça fait un bout qu’il n’y a pas eu de travail d’enquête à ma connaissance », estime Carl Péloquin, maire de Lachute, qui dit avoir pourtant remis un dossier « béton » à l’UPAC ( page 46 ).
« Avec les déclarations [aux procès de Tony Accurso et de Gilles Vaillancourt], la moindre des choses aurait été que l’UPAC investigue ça, mais non, ils se ferment carrément les yeux », déplore le chef de l’opposition à Sainte-Thérèse, Christian Charron (page 44).
« Depuis 2014 que le ministère des Affaires municipales est au courant qu’il y a un problème », soupire l’exmaire Marc Tremblay de Baie-Trinité, petit village pourtant mis en tutelle au début de 2018 ( page 42 ).
Les nombreux témoignages entendus à la commission Charbonneau, mais aussi les procédures judiciaires contre Gilles Vaillancourt et les témoignages au procès de Tony Accurso ont éclaboussé plusieurs autres villes du Québec.
RÉVÉLATIONS TROUBLANTES
Des ingénieurs, des entrepreneurs et des organisateurs politiques ont témoigné sous serment avoir donné ou reçu de l’argent pour des élus, des fonctionnaires ou pour financer illégalement des campagnes électorales.
De plus, une trentaine de villes ont fait des ententes avec des entreprises collusionnaires en vertu du Programme de remboursement volontaire qui permettait à des firmes de remettre des sommes touchées indûment sans conséquences judiciaires.
Dès lors, des élus intègres et des
citoyens choqués ont pensé que l’UPAC viendrait faire du ménage chez eux aussi.
Ils attendent toujours.
DÉPART INEXPLIQUÉ
Le départ soudain et inexpliqué de Robert Lafrenière le jour de l’élection au Québec (il a été le seul patron que l’UPAC ait connu depuis sa création en 2011) n’a rien fait pour calmer l’inquiétude, pour ne pas dire le désabusement.
L’UPAC n’a pas voulu collaborer à la démarche de notre Bureau d’enquête. On refuse toujours de confirmer si certains dossiers ont été fermés... ou même s’ils ont été simplement ouverts.
Plusieurs élus nous ont confirmé avoir eu le même genre de réponse lorsqu’ils ont posé des questions à l’UPAC au sujet de leur propre ville.
Selon son bilan de fin d’année 2017, l’UPAC compte une centaine d’enquêtes en cours et une dizaine de dossiers étaient à l’étude au Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP).
En l’absence d’informations, les délais ébranlent la confiance du public envers les institutions, croit Danielle Pilette, professeure associée à l’UQAM et spécialiste de gestion municipale.
« La population a aussi beaucoup sanctionné les élus, dont le comportement avait été douteux (en ne renouvelant pas leur mandat aux élections), croit Mme Pilette. Mais j’aurais préféré que l’UPAC ait plus de ressources et agisse davantage. »
Pourtant, les éléments de preuve abondent. L’Ordre des ingénieurs du Québec (OIQ) sanctionne régulièrement ses membres qui ont participé ou fermé les yeux sur la corruption. Mais il n’a pas le pouvoir de faire des enquêtes criminelles.
« L’OIQ fait vraiment sa job, mais pour le reste, on n’entend rien de la part de l’UPAC, on n’a pas de feedback, on ne sait pas trop ce qui se passe, affirme une source à la Ville de Longueuil. Il va falloir déterrer nous-mêmes les crottes, j’ai l’impression. »
La nature des crimes à prouver peut expliquer les longs délais pour faire débloquer les enquêtes, avance François Doré, policier retraité de la Sûreté du Québec.
« Les dossiers économiques sont toujours très très longs, car la corruption et la collusion, c’est plus compliqué à démontrer, suggère-t-il. Mais cinq ans, oui, je trouve ça long et le public trouve ça long. »
ILS S’ACCROCHENT
Pendant ce temps, certains maires s’accrochent à l’exemple de Terrebonne pour garder la foi envers le corps policier. Huit ans après avoir fait la manchette pour ses liens étroits avec un entrepreneur et quatre ans après avoir été éclaboussé par la commission Charbonneau, le maire Jean-Marc Robitaille a finalement été arrêté en mars 2018 avec son chef de cabinet et l’ex-directeur général de la Ville.