Le Journal de Montreal

Les grandes morts

- ANTOINE ROBITAILLE Chef du Bureau d’enquête au parlement de Québec antoine.robitaille@quebecorme­dia.com l @Ant_Robitaille

Profondéme­nt triste, la mort d’un grand homme ou d’une grande femme est pourtant toujours une occasion unique pour une société.

Celle de rendre hommage, bien sûr. Mais aussi, grâce au parcours du personnage en question, parcours qui est présenté en boucle dès après le décès et lors des funéraille­s, celle de découvrir ou de redécouvri­r l’histoire qu’il ou elle a marquée.

Il n’y a pas de nation sans mémoire. Cette mémoire est certes toujours tiraillée, divisée, mais elle profite grandement de ces moments forts. Surtout au Québec où l’histoire n’est pas une matière forte, en dépit de notre superbe devise.

À certains égards, le départ de Bernard Landry ne fait pas exception.

Des jeunes, sans doute – espérons-le –, demandent à leurs parents : « C’était qui déjà ? »

Des documentai­res et des films le présentant, lui et son époque, sont rediffusés en boucle ; sont « partagés » dans les réseaux sociaux.

« À HAUTEUR D’HOMME »

L’intérêt pour la politique, l’histoire, chez plusieurs jeunes, naîtra de ces moments de deuils. Avant même son départ, par le documentai­re À hauteur d’homme, Landry a marqué bien des jeunes, au point de leur donner le goût de la politique québécoise.

C’est le cas du député caquiste de Beauce-Sud, Samuel Poulin, 27 ans, qui a raconté sur les réseaux sociaux l’avoir visionné « des dizaines de fois » en disant que c’était là la source de la « passion qu[’il] éprouve pour la politique ». « Bernard Landry s’expose avec une vérité désarmante et une passion infinie pour les Québécois. Merci pour tout. »

Mon « jeune » collègue Jonathan Trudeau m’a fait une confidence similaire cette semaine.

Ce qui diffère de nos jours par rapport aux grands décès d’antan est sans doute la dispersion, l’éclatement, dans laquelle nos communicat­ions s’effectuent.

L’ère des médias de masse voyait tout le monde plongé dans les mêmes messages. Ça pouvait être lassant, certes ; mais cela avait la vertu de forger des repères communs. Quand il y avait deuil national, ça voulait dire quelque chose.

LA MORT DE LÉVESQUE

Je me souviendra­i toujours du moment où j’ai appris le décès de René Lévesque, en 1987.

Jeune étudiant en science politique à l’Université Laval, j’ai eu l’impression, les journées qui ont suivi, d’être plongé dans le cours d’histoire que je n’avais peut-être pas eu.

Toutes les télés, radios, tous les journaux n’en avaient que pour Lévesque, ses faits d’armes, ses combats. Ses compagnes et compagnons de route témoignaie­nt longuement sur papier, sur les ondes.

Lévesque lui-même, quelques mois plus tôt, avait publié ses mémoires curieuseme­nt intitulées Attendez que je me rappelle, que j’avais dévorées l’été précédent.

La mort de Lévesque avait eu des effets politiques indéniable­s. Peu après, le Parti québécois avait décidé de changer de chef !

Plongés depuis sept ans dans la déprime post-référendai­re et post-rapatrieme­nt de la constituti­on, les nationalis­tes souveraini­stes et fédéralist­es reprenaien­t alors conscience, entre autres grâce à l’évocation de Lévesque, de la fierté que ce dernier avait réussi à donner au Québec.

NOUVEAUX MÉDIAS

À l’époque des nouveaux médias, nous « faisons société » différemme­nt. Nous avons tendance à être chacun dans notre niche, notre chambre d’écho. Les nouvelles références communes sont souvent planétaire­s. On a parfois l’impression que ce qui se passe aux États-Unis – les élections de mi-mandat ! – concerne tout un chacun comme si nous en étions des citoyens. Alors qu’elle touche à l’ensemble des questions qui se posent dans notre société (ou à notre nation, pour parler comme Landry), la politique québécoise elle-même devient une bulle, une niche avec ses mordus qui avouent, sourire en coin, leur monomanie. Espérons que, dans ce nouveau monde, la mémoire nationale n’est pas dépassée. Ce serait une perte.

 ??  ??
 ??  ?? L’intérêt pour la politique, l’histoire, chez plusieurs jeunes, naîtra de ces moments de deuils. Avant même son départ, par le documentai­re « À hauteur d’homme », Landry aura éveillé bien des jeunes.
L’intérêt pour la politique, l’histoire, chez plusieurs jeunes, naîtra de ces moments de deuils. Avant même son départ, par le documentai­re « À hauteur d’homme », Landry aura éveillé bien des jeunes.

Newspapers in French

Newspapers from Canada