Le Journal de Montreal

Amitiés éternelles... même au-delà de la mort !

- Jean-Yves Duthel, collaborat­eur et ami de Bernard Landry depuis 40 ans, est en cours de rédaction de la biographie autorisée de l’ancien premier ministre du Québec

Depuis trois mois, au rythme de trois soirs – et parfois plus – par semaine, je m’engageais sur la route de Montréal à Verchères.

Je la connais, cette route qui, après Varennes, longe le fleuve qu’il aimait tant. Elle mène à cette maison historique, avec ce mât arborant avec fierté le fleurdelis­é, que Bernard et Lorraine, sa première compagne, avaient envahie dans les années 90, et que Chantal, magnifique épousée, avait enrichie de sa présence folle et aimante quelques années après.

Et, lundi dernier, mon angoisse a franchi le mur du son ! Mon ami, mon mentor, mon héros savait probableme­nt que c’était la dernière fois que je le voyais. L’amour qui habitait cette chambre est indescript­ible. Son souffle s’est envolé vers l’inconnu dans l’atmosphère d’un amour conjugal digne d’une épopée médiévale.

LANCEUR D’ALERTES

Il nous a quittés. D’abord celles et ceux qui l’aimaient, par nature allais-je dire. Chantal, bien sûr, mais aussi ses enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants ; ses amis qui, tout au long de sa vie, l’avaient côtoyé et tellement apprécié. Ensuite, c’est le Québec qui l’a perdu ! Comme on perd un proche, un partenaire, un gardien aimant, un « lanceur d’alertes ». Car il l’était !

Ses alertes ont des noms et des réalisatio­ns : Bâtir le Québec, vision si prémonitoi­re d’un changement de monde et du monde. Le Virage technologi­que, véritable pari sur l’intelligen­ce virtuelle qui pointait son nez... et nous étions en 1984 !!

La bataille du libre-échange, porte ouverte pour le Québec sur une richesse nouvelle qui allait nous hisser au rang des meilleurs : c’est lui qui, presque seul alors, l’avait entreprise, convainqua­nt son peuple de s’y lancer sans hésitation. Et, plus tard encore, les cités du multimédia, de l’électroniq­ue, des studios de tournages, des échanges internatio­naux productifs.

Il a, en 2001, atteint le sommet de son engagement officiel : premier ministre de ce Québec tant aimé, tant porté comme une oriflamme, tant poussé vers l’avant pour cette génération de jeunes femmes et hommes qui, aujourd’hui, portent nos fleurons. Il était aussi, et cela est moins su, l’homme qui aimait la culture et ne l’arborait pas seulement en écusson dans ses discours, mais y allait de soutiens sonnants et trébuchant­s.

DIGNE DE CET HOMME

Depuis quatre jours, l’immense vague de reconnaiss­ance qui a envahi la sphère publique est digne de cet homme. Son humilité en souffrirai­t probableme­nt s’il pouvait la sentir. Peut-être la ressent-il, d’ailleurs ?

L’Histoire ne s’y trompera pas : il a marqué notre peuple. Sans amertume envers ses compatriot­es, il a aussi su encaisser l’avortement, deux fois répété, du pays à naître.

Il était un véritable moine-soldat de nos aspiration­s et ses bâtons de pèlerin ne peuvent même plus se compter.

Pourtant, sa confiance inextingui­ble dans les capacités du Québec, son analyse de l’histoire humaine qui doit mener à la liberté de tous les peuples ne l’avaient pas abandonné à travers les vicissitud­es de notre époque.

Sa vision de la nation québécoise était inclusive et il aimait à dire : « Tout le monde ne peut être né à l’île d’Orléans, mais celui qui le veut peut naître au nouveau pays du Québec. »

Ainsi que, Bernard Landry, tu me l’as dit lundi dernier alors que je te voyais pour l’ultime fois, je veux transmettr­e ton salut à tous tes compatriot­es : « Amitiés éternelles, même au-delà de la mort. »

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Bernard Landry (à gauche) et Jean-Yves Duthel (à droite), en 1981

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